Le rapport Sichel sur la rénovation n’en finit pas de faire des remous
[Zepros Bâti] Remis à la mi-mars par Olivier Sichel (Caisse des Dépôts, Banque des Territoires), le rapport « pour une réhabilitation énergétique massive, simple et inclusive des logements privés » continue de susciter beaucoup de réactions enflammées, notamment autour du nouveau rôle d’accompagnement des clients dans leurs projets de travaux. Le président de la Capeb, Jean-Christophe Repon, déclare : « L’artisanat n’est pas à vendre et refuse d’être organisé par d’autres ». Et les architectes ont leur propre avis sur la question.
Le monde de la rénovation en France n’est pas encore uni derrière un objectif unique de massification du marché. Le rapport Sichel (du nom de son rapporteur), remis aux ministres de l’Economie et du Logement en mars dernier , fait au contraire s’entredéchirer les professionnels du bâtiment autour de la répartition des rôles et de la nécessité (ou pas) de ne soutenir que les réhabilitations globales, plus ambitieuses mais plus coûteuses. Au premier rang des concernés, les artisans, dont la Confédération a réagi après avoir analysé le document. Jean-Christophe Repon, le président de la Capeb, tonne : « Ce rapport nous a étonnés, il entend trouver des solutions au marché de la rénovation énergétique qui ne décollerait pas assez vite, sans prendre en compte le comportement des ménages et leurs contraintes, en cherchant simplement à organiser et uniformiser l’offre ! Nous attendons plus d’objectivité de la part des Pouvoirs publics ».
L’organisme professionnel, qui compte 57 000 entreprises adhérentes, souligne que « la réalité économique et les pratiques […] conduisent l’immense majorité des rénovations actuelles à se faire de façon étalée dans le temps du fait de difficultés techniques liées essentiellement aux interventions en site occupé, du coût important que représente une rénovation globale et de la priorisation des particuliers sur les travaux à effectuer ». Ce que les spécialistes nomment donc des rénovations par étapes, qui seraient moins soutenues que des interventions plus importantes et touchant à de multiples composants (isolation, ventilation, mode de chauffage, production d’énergie renouvelable…).
Mieux contrôler les chantiers, mieux programmer les étapes de réno
Le rapport Sichel propose notamment la création d’un nouveau métier, celui d’accompagnateur de la rénovation, chargé de suivre les consommateurs dans leurs préparatifs puis leurs chantiers pour s’assurer qu’ils touchent les aides publiques et que les travaux sont réalisés dans les règles de l’art. La Capeb se montre d’accord sur le principe, tout en demandant la mise en place de « facilitateurs » pour accompagner les entreprises dans le traitement des dossiers de qualification RGE ou de demandes de Certificats d’économies d’énergies (CEE). La confédération s’interroge également sur le financement de ces nouvelles missions et sur la qualification ou le statut des personnes choisies pour les remplir : « Son champ de compétences ne doit pas empiéter sur celui des maîtres d’œuvre et entreprises du bâtiment qui jouent au quotidien un rôle d’information et de conseil auprès de leurs clients. Au contraire, ils doivent s’appuyer dessus ». La Capeb va même plus loin, et rappelle qu’elle est « totalement opposée à ce que les accompagnateurs préconisent des travaux ou sélectionnent des entreprises ». Afin de s’assurer de la qualité des travaux entrepris, elle propose de fixer un pourcentage de contrôles sur chantier, adapté au volume d’activité des sociétés (plutôt que de rester sur un nombre fixe). Ce taux pourra être allégé ou alourdi en fonction des résultats observés sur le terrain pour chaque entreprise.
Autre proposition déjà formulée par le passé : « Que tout particulier puisse, à l’occasion de la réalisation d’un premier geste, bénéficier gratuitement d’un audit énergétique pour bâtir un plan de travaux de rénovation énergétique de son logement », afin qu’il sache ce qu’il lui reste à faire pour atteindre le niveau BBC Rénovation. Enfin, la Capeb rappelle une autre idée pour améliorer la qualité des travaux de rénovation globale dans le cadre d’un « Groupement momentané d’entreprises » (GME) : « Il est essentiel que les entreprises de corps d’état différents apprennent à travailler ensemble pour gérer au mieux l’organisation des travaux et les interfaces entre eux, avec des responsabilités strictement limitées à leur champ d’intervention ». Que chacun reste dans son rôle donc. Et que rien ne bouge ?
L’accompagnateur existerait déjà et se nommerait « architecte »...
De leur côté, les architectes et maîtres d’œuvre regrettent de ne pas avoir été consultés par Olivier Sichel. Dans une tribune, Denis Dessus, le président du Conseil national de l’ordre (CNOA), fait valoir : « Les 25 000 entreprises d’architecture conçoivent, prescrivent et assurent la maîtrise d’œuvre de près de 20 Mrds € de travaux en rénovation. Oublier un acteur fondamental de l’acte de construire et rénover dans la concertation explique certainement les conclusions du rapport. En effet celui-ci préconise la création d’un nouveau métier ‘’l’accompagnateur’’. Cet accompagnateur existe, c’est l’architecte, dont près de 3 000 sont inscrits sur la plateforme FAIRE, et les seuls à même d’avoir une approche multicritères intégrant les questions d’énergie, d’écologie, de fonctionnalité, de santé et de valorisation du patrimoine ». Afin de récupérer ce rôle d’accompagnement et de conseil, les architectes souhaitent donc que leurs interventions soient intégrées dans le coût des travaux éligibles aux aides à la rénovation, en lieu et place de l’intervention d’un nouvel intermédiaire. Le président du CNOA conclut : « Nous ne comprenons pas la complexité des montages proposés qui mélangent genres et fonctions, et dédoublent les guichets uniques définis par la loi Climat ». Outre ce manque de clarté et la multiplication des acteurs, les architectes déplorent également que la rénovation se résume à la thermique et l’énergie : « Répondre aux besoins de rénovation des ménages ne peut se traduire par recouvrir nos bâtiments de plastique et de polystyrène… ».
Plus vindicatif, le collectif Architectes d'Occitanie, a lancé une pétition sur Internet qui a réuni près de 8 000 signatures en deux semaines et qui s'adresse au Premier ministre en ces termes : "Nous sommes consternés de constater que le Ministère du Logement ignore encore une fois l'existence des architectes, professionnels indépendants formés dans les écoles d'architecture, pour accomplir exactement ces missions indispensables de maîtrise d'œuvre, dans le cadre d'une profession réglementée et ayant prêté le serment de respecter un Code de déontologie. Pourquoi vouloir substituer des artisans RGE, voire des associations, aux architectes ? Pourquoi réinventer ce qui existe déjà et fonctionne ?". Les auteurs demandent l'introduction d'une prime pour les missions d'architecte, afin de débloquer la rénovation.
G.N.