Le Premier ministre interpellé sur l'incohérence bâtiment/politique énergétique par 18 organisations
[Zepros Bâti] Le monde de la construction n’en finit pas d’interpeller le gouvernement. Pendant que la FFB et la FNTP « lançent un cri » pour sauver l’emploi dans le BTP, dix huit autres organisations professionnelles ont envoyé une lettre ouverte au Premier ministre pour « attirer l’attention des pouvoirs publics sur l’accélération nécessaire du rythme des rénovations BBC » et sur la révision du DPE et de la future RE2020.
Pas moins de 18 organisations professionnelles (*), qui vont du monde du gaz (AFG, Coénove) à celui du solaire (Enerplan) en passant par les spécialistes de la chaleur (Amorce, AFPG), de l’isolation (Mur Manteau) et les associations (Cler, NégaWatt), ont signé une lettre ouverte au Premier ministre . Elles rappellent la cohérence nécessaire entre la politique énergétique française – pilotée par la Programmation pluriannuelle et la Stratégie nationale bas carbone – et le monde du bâtiment. Il est reproché « une électrification massive des usages thermiques sans chercher à réduire significativement les niveaux de consommation lors des rénovations, ni à recourir abondamment à la chaleur renouvelable ».
Selon les signataires, la révision du contenu carbone du kWh de chauffage et du coefficient d’énergie primaire relatif à l’électricité, plus d’autres dispositions prévues comme l’expression du DPE en énergie finale et la barre de 60 kWh/m² annuels pour le futur seuil entre les classes « B » et « C », sont de nature à déstructurer le secteur. Ils argumentent : « Le seuil du label BBC, objectif du parc, baisse de 1/3 pour les combustibles, de 2/3 pour le bois mais augmente de x3 pour l’électricité, éliminant ainsi le bois voire tous les autres combustibles, par des travaux de rénovation rendus plus chers que dans les logements chauffés par effet Joule ». Pour cette raison, les professionnels redoutent que tous les propriétaires optent pour le chauffage électrique en raison de coûts de travaux moindres et de contraintes réglementaires plus légères. De même, les 18 organisations pointent qu’en construction neuve, le recours à l’électricité plutôt qu’à d’autres systèmes risque de renforcer le phénomène de pic hivernal de consommation qu’il sera difficile de passer au-delà de 2030 sans recourir à des importations de courant étranger, généralement beaucoup plus carboné.
Non à l’énergie finale
Sur la nouvelle étiquette énergétique, ils s’insurgent : « Désormais, des logements de même classe auront la même consommation d’énergie finale mais des coûts de chauffage du simple au triple. Cette réforme aura pour effet visible l’explosion des factures de chauffage et l’accroissement de la précarité ». Sans un seul chantier, certaines passoires énergétiques des classes « F » et « G » chauffées par électricité monteront en gamme, quand d’autres, chauffées par combustible descendront : « Rénover ces logements est une évidence, éviter la rénovation de ceux chauffés à l’électricité est incompréhensible et contraire à la directive européenne Bâtiments ». L’énergie finale ne représenterait pas le coût réel pour l’usager et ne permettrait pas de rapprochement avec les différents compteurs de son logement.
Les signataires demandent de ce fait de ne pas modifier les règles du DPE et du label BBC tout en rendant à la future RE2020 son ambition initiale : « Nous demandons le retour à un coefficient d’énergie primaire et à un contenu de CO2 de l’électricité conformes à la situation actuelle et la permanence de l’énergie primaire dans les bilans ». Tout comme les acteurs des Certificats d’économies d’énergie, ils recommandent de prioriser la rénovation globale et performante et de passer de l’incitation à l’obligation de travaux. Ils insistent sur les efforts à mener sur l’enveloppe pour une meilleure durée de vie des bâtiments, ainsi qu’un confort et une qualité sanitaire accrus. Sur le mode de financement, les 18 organisations n’y vont pas de main morte : ils souhaitent faire table rase des aides en vigueur « dont l’efficacité n’est pas avérée » pour les remplacer par « un vaste prêt à taux zéro de durée ajustable » qui assurerait l’équilibre entre le budget des travaux et les gains générés par la baisse des consommations. Enfin, ils appellent à la constitution d’une filière d’excellence « de la chaleur et des pompes à chaleur (hybrides, électriques et biogaz) » pour développer l’usage des réseaux urbains alimentés par de l’énergie de récupération et celui des boucles d’eau chaude, réversibles, en « travaillant sur la performance intrinsèque des appareils », « leurs conditions de fonctionnement », « la qualité de leur mise en œuvre et de leur maintenance » et même sur la « relocalisation de leur production ». Un vaste programme qui ne manquera pas de faire réagir les défenseurs de l’électrification.
G.N.
(*) NégaWatt, Synasav, Uprigaz, AFG, AFL, AFPG, Amorce, Comité français butane propane, Cibe, Cler, AFC, Coénove, Energies & Avenir, Enerplan, Flame, ICEB, Isolons la Terre contre le CO2, Le Mur Manteau