RE2020 : les discussions s’électrisent autour de la question énergétique

Grégoire Noble

La future Réglementation Environnementale des bâtiments dite RE2020, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2021, met l’accent sur la réduction de l’empreinte carbone des constructions. Plusieurs points techniques, dont le contenu en CO2 de l’électricité et le coefficient d’énergie primaire, cristallisent l’opposition entre les vecteurs que sont l’électricité et le gaz. Les deux filières se mobilisent pour faire valoir leur point de vue.

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A la mi-janvier, le gouvernement a lancé le début des simulations de la RE2020, future réglementation environnementale des bâtiments, qui s’appliquera aux constructions neuves dans moins d’un an. Cette étape servira à déterminer les critères et seuils principaux de ce texte, qui seront discutés au printemps prochain, afin d’analyser les effets sur les matériaux, les modes constructifs et les systèmes intégrés. Le but est de parvenir à arrêter l’ensemble des paramètres et objectifs d’ici à l’automne 2020 afin que toutes les filières puissent en prendre connaissance. Parmi les ajustements annoncés, le gouvernement annonce : « Le facteur d’émission de CO2 de l’électricité utilisée pour le chauffage sera déterminé par la méthode mensualisée par usage et verra donc sa valeur actualisée à 79 g/kWh, afin d’être plus conforme à la réalité constatée. Un coefficient de conversion entre énergie primaire et énergie finale de l’électricité de 2,3 sera utilisé (contre 2,58 actuellement NdlR). Il correspond à la valeur moyenne anticipée de ce coefficient au cours des 50 prochaines années ».

Le coefficient de conversion doit-il être de 2,58 ; 2,30 ou 2,10 ?

Il n’en fallait pas plus pour que treize organisations professionnelles du gaz, des renouvelables et de la maintenance (*) ne montent au créneau en envoyant une lettre ouverte au Premier ministre, demandant de revoir ces calculs... pour revenir à la situation actuelle. Richard Loyen, le délégué général d’Enerplan, nous explique : « Pour le contenu carbone, d’un coup de baguette magique, il est ramené en hiver de 210 grammes de CO2 par kilowattheure à seulement 79 grammes. Comme si finalement, on consommait une électricité pas si carbonée pour faire des chauffages électriques une solution plus vertueuse qu’elle ne l’est en réalité ». Les treize signataires estiment au contraire que lors de la saison de chauffe, la France est obligée de mettre en route des installations de production électrique thermiques, peu vertueuses, et d’importer du courant de nos voisins européens, lui aussi chargé en carbone. « Cette valeur de 210 gCO2/kWh avait pourtant été calculée lors de la mise sur pied du référentiel E+C- après de longs débats d’experts et l’obtention d’un consensus ». La lettre ouverte au Premier ministre précise que la nouvelle valeur proposée, dénommée « par usage », ne représenterait en fait que la moyenne totale en hiver de l’impact carbone, tous usages confondus.

Autre point d’achoppement, le coefficient de conversion. Là encore, Richard Loyen y voit « un subterfuge pour justifier une prophétie auto-réalisatrice ». Le chiffre annoncé se fonde en effet sur la projection hypothétique du mix énergétique français sur les 50 prochaines années – durée de vie estimée des bâtiments – plutôt que sur des valeurs réelles et actuelles. Cette fois, les professionnels évoquent la mise en place d’une clause de revoyure à intervalles réguliers. Le délégué général d’Enerplan poursuit : « Tous les cinq ans, en fonction du développement des énergies renouvelables. Quitte à baisser ce coefficient autant se baser sur la réalité ». La mesure annoncée par le gouvernement aurait pour effet pernicieux de favoriser la production d’électricité centralisée, bien loin des perspectives d’autoconsommation et de décentralisation. La RE2020 risquerait ainsi de remettre les convecteurs électriques au cœur du marché du chauffage et de favoriser trop ouvertement les pompes à chaleur, alimentées en électricité. Les associations professionnelles estiment que ces deux ajustements auront des effets négatifs sur toutes les autres énergies, qu’il s’agisse du bois, de la géothermie, du solaire ou du biogaz, en réduisant artificiellement le bénéfice environnemental des rénovations énergétiques. Selon Richard Loyen, « des épaves thermiques pourraient sortir de ce statut sans travaux ». Un moyen d’améliorer les statistiques de lutte contre la précarité énergétique ?

Le syndrome du grille-pain

Mais toutes les filières ne sont pas hostiles à cette évolution. Notamment l’association Équilibre des énergies, qui soutient ouvertement le chauffage électrique. Son président, Brice Lalonde, s’insurge : « Assez de grenouillages contre la RE2020. La priorité est la protection du climat, et non les petits intérêts des uns ou des autres. C’est le gouvernement qui a raison ». Dans un communiqué, Équilibre des énergies argumente : « L’énergie primaire n’est pas une grandeur physique mesurable mais un indicateur statistique (...) il faudra à l’avenir ne retenir comme critère que l’énergie livrée à l’utilisateur et consommée par lui, et bannir tout recours à l’énergie primaire dans la réglementation ». Afin de sortir de ce mode de calcul, l’association a même proposé à l’administration de s’aligner sur le coefficient par défaut préconisé par la Commission européenne et fixé à... 2,1, bien en-dessous de 2,58 et même de 2,3. Une tendance soutenue par le Serce (génie électrique et climatique) dont la directrice générale, Anne Valachs, a signé une tribune en ce sens : « A terme, le coefficient d’énergie primaire est un concept qu’il faudra supprimer, car il n’a plus de sens aujourd’hui. Il faudrait plutôt développer des indicateurs liés à l’empreinte carbone du bâtiment, qui est directement corrélée au vecteur énergétique et au volume consommé. On voit bien dans les textes que ce qu’on prend en compte c’est l’énergie finale ».

Quant au contenu en CO2 de l’électricité, Équilibre des énergies écrit : « Les messages les plus fantaisistes circulent jusqu’à imputer au kWh électrique utilisé pour le chauffage, un contenu de 500 à 600 grammes de CO2 alors qu’à aucun moment (...) les émissions n’ont excédé 76 g/kWh ». L’association explique les erreurs par l’application abusive du principe du coût marginal et de la méconnaissance de la mutualisation des productions apportée par le réseau électrique. Anne Valachs, du SERCE, semble sur la même ligne. Pour elle, l’électricité est « un moteur de l’efficacité énergétique. Il faut arrêter de parler de grille-pain, ça n’existe plus ! Les radiateurs sont aujourd’hui pilotables ». Qui l’emportera finalement dans la RE2020 entre partisans du tout électron et défenseurs d'un mix énergétique plus varié ?

G.N.

(*) Association Française du Gaz ; Amorce (association de collectivités, gestion des déchets et réseaux de chaleur) ; Comité Français du Butane et du Propane ; Comité Interprofessionnel du Bois Énergie ; Coénove (association pour le gaz et les énergies nouvelles) ; Énergies & Avenir (professionnels de la filière à eau chaude) ; Enerplan (syndicat du solaire) ; Fedene (fédération des services énergie environnement) ; Synasav (syndicat national de la maintenance et des services en efficacité énergétique) ; UMGCCP-FFB (union des métiers du génie climatique, de la couverture et de la plomberie) ; Uniclima (syndicat des industries thermiques, aérauliques et frigorifiques) ; Uprigaz (union professionnelle des industries privées du gaz) ; Via Sèva (association de promotion des réseaux de chaleur).

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