L’Académie des Technologies pointe les limites de la transition à la française
[Zepros Énergie] La Stratégie nationale bas carbone prévoit la neutralité du bilan français en 2050, tandis que la Programmation pluriannuelle de l’énergie imagine les productions énergétiques du pays jusqu’en 2028. Même si l’Académie des Technologies souligne la cohésion entre les deux documents, elle pointe plusieurs incohérences majeures notamment sur l’hydrogène, le bois-énergie ou le prix de la tonne de CO2.
Deux importants textes ont été mis en consultation au début de l’année : la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui mettent en avant des objectifs quantitatifs pour que la France parvienne à la neutralité de ses émissions en 2050. L’Académie des Technologies, qui compte plus de 300 experts réunis sous la présidence de Pascal Viginier, a contribué aux débats préalables en 2018. Et la société savante se montre pour le moins critique vis-à-vis des évolutions et avancées proposées...
La difficulté de taxer le carbone
La SNBC aurait ainsi un « contenu qui laisse sceptique » sur les chances de parvenir à la neutralité carbone dans 30 ans : « La possibilité d’atteindre les objectifs formulés pour les différents secteurs pose questions ». Les rapporteurs de l’Académie des Technologies citent plusieurs exemples, dont celui du doublement des puits de carbone sur la période, « grâce à une meilleure gestion forestière et une plus grande utilisation du bois comme matériau de construction », avec une hausse de l’effet puits des produits bois d’un facteur 8 par rapport à aujourd’hui. « Cependant, aucune mesure concrète n’est associée », notent-ils, rappelant que les volumes de bois commercialisés stagnent à 39 millions de m3/an depuis 1990 et que le bond de 12 millions de m3 supplémentaires, espéré sur la période 2016-2026, restait hypothétique. En matière de mobilité durable, la SNBC mise sur l’électrification du parc automobile. Le nombre de véhicules légers électriques devrait passer de 150 000 à ce jour, à 3 millions en 2028. Mais les académiciens signalent : « Il faudrait environ 300 000 bornes publiques de recharge, mais [la PPE] ne fournit aucun ordre de grandeur des bornes à installer dans les parkings des particuliers ». Des difficultés techniques seront à résoudre, tout comme des obstacles réglementaires à surmonter, notamment pour l’installation de bornes dans les copropriétés. Autre interrogation, sur la rénovation du parc immobilier afin de réduire ses consommations et d’éradiquer comme promis les « passoires thermiques ». L’Académie fait valoir : « L’obtention de cet objectif essentiel n’est, en réalité, pas contrôlable faute d’outil statistique adéquat ». Et sur les aides aux particuliers, elle soutient que les aides restent insuffisantes, en particuliers pour les propriétaires-bailleurs. Sur ces deux points, l’exécutif a toutefois déjà partiellement répondu, avec la mise en place d’une équipe dédiée à la consolidation des chiffres de la rénovation sous l’égide d’Anne-Lise Deloron, et l’incorporation en 2021 des bailleurs privés dans le dispositif « MaPrimeRénov’ ».
« Au-delà de ces commentaires illustratifs des difficultés auxquelles la SNBC va se trouver confrontée, elle paraît manquer de deux ingrédients essentiels : l’utilisation du levier du prix du carbone (...) et l’appréciation de la dimension européenne et internationale de la transition », déclarent les académiciens. Ils ajoutent que si la tonne de CO2 devait atteindre les 86 € en 2022, son prix reste aujourd’hui gelé à... 46 € suite à la crise des gilets jaunes et à l’abandon d’une taxe dédiée. Les experts avertissent également que le résultat pourrait être « une délocalisation d’activités industrielles émettrices de CO2, une perte de compétitivité et une importation de biens produits à l’étranger sans considération de leur impact carbone », en insistant sur la cohérence nécessaire des pays de l’Union.
Une PPE avec plus d'uranium et moins d'hydrogène ?
Sur la PPE, les experts de technologies souhaitent que la France mette l’accent sur le développement du biogaz sous ses diverses formes afin de remplacer la consommation de gaz naturel, « d’autant que la filière industrielle peut être complètement française, contrairement à l’éolien ou au solaire ». Le coût encore élevé reste une des principales barrières, avec plus de 100 €/MWh pour le biométhane contre seulement 23 €/MWh pour le gaz extrait du sol. Pour le bois énergie, ils notent le glissement de l’utilisation des bûches vers les granulés, tout en déplorant que « la moitié des granulés qui sont utilisés en substitution sont importés ». La PPE ne proposerait, selon eux, aucune stratégie française pour répondre à une demande croissante. Vis-à-vis de l’atome, l’Académie des Technologies se montre partisane d’un maintien du parc : « Autour de 2022-2023, il appartiendra de décider si l’objectif de 50 % de nucléaire dans le mix électrique en 2035 est un point intermédiaire ou un plancher. Le choix des modes de production (...) dépend profondément de cette décision ». Mais de l’avis des rapporteurs, l’arrêt de deux réacteurs supplémentaires en 2027-2028 ne sera justifié que s’il n’y a pas d’augmentation des émissions de CO2 pour compenser leur production. Pour eux, « la PPE devrait être sous-tendue par une recherche de minimisation des coûts de la tonne de carbone évitée ».
Quant à la filière hydrogène, elle ne répondrait que partiellement aux besoins français : si l’Académie l’estime utile pour le remplacement du Diesel (transport lourd, flottes automobiles) elle se montre plus réservée sur la capacité de mise en place d’un réseau de stations-service au niveau national, en plus des bornes électriques. Les spécialistes suggèrent de « pousser très fortement l’électrolyse » et de « progresser massivement vers la capture, le stockage et l’utilisation de CO2 » en orientant les soutiens publics vers des technologies et entreprises capables de s’adresser à ce marché mondial. Mais ils ne croient pas au rôle de l’hydrogène dans l’atténuation de l’intermittence des renouvelables, toujours en raison d’un coût encore déraisonnable. La pertinence économique aura donc toujours le dernier mot, même pour les geeks des technologies...
G.N.