Le low-tech : peu d’énergie (grise) mais beaucoup de matière (grise aussi)

Grégoire Noble
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[Zepros Bâti] Les réponses technologiques aux défis du bouleversement climatique sont-elles les bonnes ? De plus en plus d’acteurs de l’innovation pensent que sobriété et frugalité seraient préférables aux inventions les plus tarabiscotées. Un ingénieur, un architecte et des industriels de la construction livrent leur sentiment.
« Le low tech n’est pas un retour à la bougie, ni à un habitat dans des grottes ; c’est une technologie résiliente, simple, agile, utilisée avec discernement. C’est de la matière grise plus que des matériaux », résume Philippe Bihouix, ingénieur centralien et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet* en introduction d’une conférence sur le sujet du bâtiment intelligent organisée par l’association Construction21. Cet expert s’interroge « sur la pertinence des hi-tech », qui consomment des ressources non renouvelables, comme les métaux et terres rares. Pour lui, l’économie circulaire ne constituera pas une réponse : « Le problème vient de la complexité des objets, aujourd’hui miniaturisés, qui sont difficiles à recycler ». Les matériaux composites et autres alliages métalliques utilisés en quantités infimes seront en effet impossibles à séparer en leurs constituants de base à un coût raisonnable.
Sur la thématique du bâtiment intelligent et de sa grande sœur, la smart city, l’ingénieur ajoute : « Il y a un effet systémique : avec la multiplication des capteurs et mesures, un citoyen de la smart city représente 20 Gigaoctets de données par jour ! La facture numérique va être énorme ! ». Philippe Bihouix s’étrangle en pensant au déploiement – dispensable – de la 5G. Au-delà de cet appétit sans fin pour la data, qui nécessitera des centres de calcul et de stockage aux besoins exponentiels, le modèle serait également particulièrement fragile. « Il dépend de la fourniture d’énergie, de matériaux », souligne le spécialiste. Le low-tech serait à l’inverse une démarche vertueuse, se souciant de la finalité de la construction et sur son utilisation, afin d’en « intensifier les mètres carrés ». Pour lui, la seule dimension carbone ne suffira pas pour déterminer les réponses les plus adaptées, ajoutant d’autres paramètres comme l’abondance ou pas des ressources ou l’impact sur la biodiversité. Le bâtiment intelligent reposerait donc d’abord sur l’intelligence de son maître d’ouvrage puis sur celle de son concepteur avant d’être confiée à celle de ses utilisateurs... L’architecte Vladimir Doray (Wild Rabbits Architecture), maître d’œuvre de la Crèche en Papier à Paris, plaide également pour cette intelligence répartie, où le projet serait le fruit de multiples réflexions. L’édifice imaginé pour l’accueil d’enfants dans le 20e arrondissement est ainsi issu d’une approche « holistique » intégrant le réemploi de fondations existantes, l’usage du bois, le recours au rafraîchissement passif et à la lumière naturelle, ou encore à la récupération des eaux de pluie... Une sobriété qui bénéficiera à la santé et au bien-être des occupants.

Un bâtiment aux multiples vies


Chez Bouygues on imagine un bâtiment « sans externalités négatives », c’est-à-dire un bâtiment hybride à économie positive, où la mutualisation des espaces accroîtrait son taux d’usage. Il est ainsi question de coworking, de toiture productive, de mobilité partagée et de valorisation des flux physiques (chaleur ou déchets partagés avec les bâtiments voisins). La réversibilité des constructions, leur permettant d’avoir plusieurs vies au lieu d’une seule prédéfinie, autorisera également de grandes économies de carbone à l’avenir, tout comme le trading des matériaux pour leur réutilisation en l’état plutôt que leur recyclage. Fabrice Bonnifet, le directeur Développement durable & QSE du groupe de BTP ajoute : « L’adaptation de la construction aux futures vagues de chaleur devra se faire sans climatisation ». Se pose alors la question de l’existant, car tous ces concepts sont applicables au neuf, mais qu’en sera-t-il du stock ? Cyril Marty, le fondateur d’Advizeo (Setec), note : « Les enjeux sont la réduction des coûts (consommations ou charges), le respect des réglementations, la fiabilisation des données ». Il milite pour l’utilisation des données déjà existantes pour ne générer que le strict nécessaire. Une tendance à la mutualisation des capteurs et des réseaux pour ne pas les multiplier inutilement. Engie Cofely souhaite également se passer de piles en glanant de petites quantités d’énergie, notamment par effet Peltier.
Loin d’opposer la technologie au progrès, ou les systèmes actifs aux systèmes passifs, les acteurs du bâtiment envisagent donc des solutions complémentaires, mêlant techniques de pointe et bon sens. Le travail de l’enveloppe du bâti, afin que sa qualité lui octroie une performance durable pendant plus de 50 ans par exemple. Ou encore l’induction de comportements plus sobres chez les usagers. Le tout en visant le bas prix et la neutralité carbone... Le low-tech va nécessiter beaucoup de temps de cerveau.
G.N.
* Quel futur pour les métaux (2010) ; L’âge des low-tech, vers une civilisation techniquement soutenable (2014) ; Le bonheur était pour demain : les rêveries d’un ingénieur solitaire (2019)
Grégoire Noble
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