[Filière Menuiseries] « La reprise se fera-t-elle attendre au-delà de 2020 ? » (Jos Lenferink, Veka France)

Stéphane Vigliandi
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Si Veka France est à nouveau dans les starting-blocks, son PDG Jos Lenferink compare la situation avec d’autres filiales du groupe allemand. Tout en émettant des réserves sur un redémarrage rapide de l’économie du BTP, ce membre de l’UFME évoque aussi des pistes pour un “plan Marshall” de relance du secteur. Et détaille la "boîte à outils" d'un PDG au temps du Covid-19.

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EN PHOTO • Si la mise en œuvre des gestes barrières (gel, masques, création de zones de courtoisie et de sens de circulation…) alourdissent un peu les charges, en revanche « elle ne pèse pas sur la productivité de Veka France », assure son PDG, Jos Lenferink.

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Le 17 mars 2020 fera sans doute partie des dates que Jos Lenferink marquera d’une pierre blanche dans sa carrière professionnelle. « En cours de matinée, je suis allé dans nos entrepôts. Je suis monté sur une palette et j’ai pris le mégaphone pour annoncer aux salariés que nous rentrions dans un période de crises (sanitaire, sociale, économique) et que l’entreprise aurait besoin de toutes les énergies pour affronter ces moments », raconte le CEO Europe du Sud-Ouest & Afrique du Nord chez Veka. Vers 15h00, ce “mardi noir”, c’est l’effet domino.

Par mail ou téléphone, 75 % des clients fabricants de menuiseries ont annoncé ne plus être en capacité de réceptionner les colis du concepteur-gammiste. Seule solution pour Veka France ? À son tour, il planifie l’arrêt des machines sur son site de Thonon-les-Bains (74). En moyenne, cette unité produit environ 18 millions de mètres de profilés par an sur les 480 millions qui sortent des usines du groupe familial allemand. Si la production a été mise en stand-by, le service logistique a été maintenu en mode ultra-sécurisé.

Une situation diamétralement opposée, par exemple, en Espagne – une filiale que pilote aussi ce Néerlandais d’origine. « Là-bas, les mesures de chômage partiel et d’accompagnement sont moins importantes. Tout en imposant des protocoles sanitaires stricts, notre usine de Burgos a poursuivi la production à hauteur de 70 % du rythme habituel », observe le dirigeant.

En Allemagne aussi, les usines de la maison-mère ont continué de tourner quasi normalement en mars. Sur avril, il devrait toutefois y avoir un ralentissement, car l’export commence à être impacté. Dans les sites polonais, le rythme se situe à 25-30 % de baisse de chiffre d’affaires. « En France, les entreprises ont pu bénéficier de l’amortisseur social de l’État. Le pays remontera-t-il la pente plus tardivement par rapport aux pays qui ont déconfiné plus tôt ?, questionne le dirigeant. Nous verrons sans doute qui aura eu raison d’ici 12 à 18 mois… », confie-t-il.

EN PHOTODans son usine basée en Haute-Savoie, le concepteur-gammiste allemand s’appuie en général sur un pool de 200 collaborateurs. Actuellement, 65% de l'effectif salariés est présent sur la base du volontariat. Ici, le redémarrage de l'unité de plaxage.

Pragmatisme et webinars

Très vite, en coordination avec le CSE, la direction soumet au vote des salariés trois mesures : le déclenchement du plan de continuité d’activité, le chômage partiel et six jours de congés payés à poser pour l’ensemble des salariés. Après quatre semaines de demi-sommeil, la filiale hexagonale a commencé à réactiver la machine.

Le 23 avril, Jos Lenferink retourne à l’usine « pour la première fois depuis plus d’un mois ». Instants semés d’émotions, mais aussi d’appréhensions et d’inquiétudes. « Dans nos métiers, les usines ne sont pas vraiment conçues pour faire du “go-no go”. Pour relancer l’outil de production dans des conditions d’exploitation raisonnables, l’activité doit être d’au moins 50 % par rapport à la normale. Le 23 avril, nous n’avions que 30 % de volumes de commandes en portefeuille : environ 15 % afin d’honorer les commandes passées avant que ne soit décrété l’état d’urgence sanitaire ; l’autre moitié pour servir les nouvelles demandes reçues courant avril », détaille le dirigeant.

Actuellement, les opérateurs travaillent en 5-8 sur les lignes d’extrusion PVC et en 3-8 dans les autres ateliers. Comme d’autres acteurs de la filière, Veka France anticipe l’après-confinement. Pour atteindre les 50 % d'activité sur les lignes de fabrication, l'usine savoyarde produit momentanément des surplus pour éviter de se heurter à des niveaux de stocks sous tension courant mai.

Tous les jeudis, le management réunit d'ailleurs en visioconférence les membres de la cellule de gestion de crise. Leur principale mission ? Définir les volumes de production pour la semaine suivante. « En accord avec notre siège en Allemagne, nous avons choisi une organisation pragmatique », note Jos Lenferink. Et pour garder le contact avec le terrain, mais aussi avoir des feed-back sur le niveau des affaires, Veka France organise des webinars réguliers avec les clients.

En amont, l’industriel a d’ailleurs été vigilant afin de garantir ses approvisionnements. Sa seule crainte aujourd'hui ? « Des risques de rupture auprès d’un fournisseur italien qui alimente les process de coloration des profilés. Mais il existe des alternatives et nous disposons encore de deux mois de stock tampon », tempère la direction de Veka France.

Stress-tests et grille de lecture compliquée

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Pour détailler auprès des 200 salariés le dispositif de reprise sécurisée, un “Capitaine Santé & Sécurité-Covid” qui n’est autre que le responsable Hygiène & Sécurité de l’entreprise, a organisé plusieurs sessions de 45 mn.

« Il faut rester vigilant en permanence sur le respect des gestes barrières. En particulier, lorsque les équipes de production se relaient, il pourrait y avoir un relâchement sur la distanciation sociale », estime le PDG.

Si toutes les conditions sanitaires sont rôdées et deviennent « la nouvelle convention, sans doute, pour de nombreux mois », Jos Lenferink reste circonspect sur les semaines et les mois à venir. Pour dédramatiser, il emprunte à Pierre Dac ce trait d'humour : « Les prévisions sont difficiles surtout lorsqu'elles concernent... l'avenir ! ».

Après avoir "dévoré" plusieurs études prospectives sur les impacts du Covid-19 (Xerfi, les 4 scénarios globaux de Futuribles International d’ici à fin 2021, etc.), il réalise avec ses équipes un stress-test. Plusieurs scénarios sont envisagés. Une première estimation de compte de résultats prévisionnel a été menée sur la base d’une perte de deux mois de chiffre d’affaires (mars + avril 2020).

Mais Veka France planche aussi sur un second scénario basé, cette fois-ci, sur une baisse d’activité de quatre mois durant l’exercice 2020 et deux mois supplémentaires sur 2021. En clair, Jos Lenferink anticipe « une éventuelle crise majeure et durable ». « Avec le confinement, il y a aussi une bulle de l’épargne chez les ménages. Il faudra voir quand et de quelle manière dynamique ce “bas de laine” forcé va être réinjecté dans l’économie réelle », prévient-t-il.

EN PHOTO • À l’usine de Thonon-les-Bains (74), chacun des 200 collaborateurs a été sensibilisé durant 45 minutes par un "référent Covid" pour respecter à la lettre les consignes de sécurité sanitaire de l'UIMM et des syndicats professionnels de la baie.

Plan Marshall

S’il salue les actions coordonnées par l’UFME et le SNFA, le patron de Veka France estime que, comme par le passé, il faudra sans doute que la filière puisse engager « de nouvelles actions de promotion autour du changement de fenêtres et de la transition énergétique ».

Rejoignant les idées de Robert Dollat, président de l’UFME dont il est membre du bureau, Jos Lenferink appelle lui aussi à un “build deal” avec les élus locaux comme l’a suggéré en fin de semaine dernière Alexandra François-Cuxac. Pour la présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), «l’épidémie de Covid révèle deux faiblesses majeures de l’immobilier neuf en France : la sur-administration et la sous-digitalisation. Leur traitement sera au cœur du “plan Marshall” dont notre secteur a besoin pour contribuer au rebond économique du pays. Cette composante “offre” est aussi importante que la relance de la demande ».

Autres pistes évoquées par le fabricant Veka : rendre obligatoire la rénovation des passoires thermiques avec son lot d’aides induites – le non-résidentiel ne pesant que 8 à 10 % du marché en volume ; étendre le mécanisme des CEE ; sans doute mieux encadrer la chaîne du RGE pour apporter plus de visibilité aux clients, etc.

« La filière des menuiseries et de la baie peuvent contribuer aux objectifs de la Stratégie nationale bas carbone*. En outre, le marché français représente un potentiel d’environ 120 millions de fenêtres PVC à changer. Et autant de ressources issues des menuiseries en fin de vie qui seront à collecter pour venir alimenter la chaîne vertueuse du recyclage », rappelle Jos Lenferink. Actuellement, Veka Recycling revendique un taux de valorisation des déchets de PVC issus des menuiseries et fermetures en fin de vie de l’ordre de 82 %.

* Concernant le bâtiment, la SNBC prévoit la décarbonation complète des parcs résidentiel et tertiaire en 2050.

Stéphane Vigliandi
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