Les JO de Paris avant le Bâtiment : le double défi de Louise Guillet
Louise est la capitaine de l’équipe de France de water-polo. Elle disputera en 2024 les Jeux olympiques de Paris. Ce sera aussi la dernière compétition de sa longue carrière de sportive de haut niveau.
Le jour d’après, elle prendra le chemin du bâtiment. Elle deviendra façadière et cheffe d’entreprise en reprenant la société familiale, Guillet & Fils.
À travers son interview, vous allez découvrir son parcours hors du commun et une personnalité littéralement extraordinaire.
Bonjour Louise, c’est émouvant pour moi de t’interviewer à l’INSEP sur les gradins de la piscine. On a souvent plusieurs carrières dans une vie. Ton histoire le prouve et la mienne le confirme.
Aujourd’hui, tu es une championne de water-polo, demain tu seras une façadière et une cheffe d’entreprise. Moi, j’ai commencé ma carrière comme journaliste au service des sports à France-soir. Ensuite, j’ai fait des métiers complètement différents, notamment en travaillant pendant 15 ans à Disney. Aujourd’hui, je suis revenu à mes premières amours en travaillant pour le groupe de presse Zepros et l'agence digitale Tokster.
Ma dernière interview de mon début de carrière, c’était ici à l’INSEP en 1991. J’étais sur les gradins de cette piscine pour interviewer Karine Schuler, championne d’Europe de natation synchronisée. J’ai l’impression de voyager dans le temps. Un autre détail, Karine aussi préparait les JO.
Lors de la cérémonie des Talentueuses de Caroline Semin, tu as reçu le trophée de « la meilleure apprentie » qui récompense une jeune femme en début de carrière dans le bâtiment. À qui voudrais-tu le dédier ?
« À mon père, c’est grâce à lui que je peux mener de front ma carrière sportive et ma reconversion.
Il m’a transmis sa passion pour le bâtiment.
Pendant les vacances, quand j’étais petite, tous les matins avec ma sœur, on faisait le tour des chantiers avec lui. À midi, on parlait de l’entreprise avec mon grand-père. Puis l’après-midi, on allait au siège de l’entreprise, il préparait ses devis et nous, on en profitait pour faire du calcul mental ! On allait aussi au magasin de peinture, il empilait des pots dans le chariot et on s’asseyait dessus. On allait aussi distribuer les pinceaux aux ouvriers. »
Tu en gardes de bons souvenirs. Je vois que ça fait partie de ta vie depuis toujours. Se retrouver dans cette ambiance, c’est un peu ta Madeleine de Proust.
« Oui et je ne voulais pas que tout s’arrête, l’entreprise familiale existe depuis 1850, alors j’ai décidé de reprendre le flambeau. »
Meilleure apprentie du bâtiment
Et aujourd’hui, tu es en stage dans une entreprise en rénovation de façades.
« Oui, je tiens aussi à dédier ce trophée à Dominique Ferré qui est la tête de l’entreprise “Façade du Roy” à Saint-Maur (94). Elle fait partie du réseau de la marque VERTIKAL.
C'est la seule entreprise qui a accepté de m’accueillir une journée par semaine en apprentissage pour apprendre le métier de façadière. Avant, je n’avais eu que des refus.
Sans lui, je n’en serais pas là. J’ai l’impression de voir mon père, mais en plus calme. Il est disponible. Je peux lui poser n’importe quelle question sur le métier, sur la gestion d’une entreprise, sur les relations avec les clients, il prendra toujours le temps pour me répondre. »
Peux-tu citer un de ses enseignements ?
« La communication est hyper importante pour réussir dans le monde professionnel, c’est la première chose qu’il m’a dite. La communication aussi bien avec les clients que sur les réseaux sociaux.
C’est lui aussi qui m’a suggéré de m’inscrire aux Talentueuses.
D’ailleurs, j’aimerais aussi dédier ce trophée à Caroline Semin. C’est une excellente initiative de mettre en avant les femmes du bâtiment. Cela montre aux gens que les femmes sont capables de faire carrière dans le BTP.
J’ai eu l’occasion de citer en exemple les “Talentueuses” auprès d’Amélie Oudéa-Castéra, la ministre des Sports, lors d’une soirée intitulée “Athlètes et entreprises ensemble”. Parmi les intervenants, des chefs d’entreprise qui sponsorisent des athlètes, il n’y avait que des hommes ! C’est bien dommage. »
La carrière internationale de Louise Guillet
Comment est née ta passion pour le water-polo ?
« J’ai commencé par le tennis et le basket.
Lors d’une finale d’un tournoi de tennis, j’ai perdu le match et j’ai balancé ma raquette sur mon adversaire ! Ma mère m’a alors interdit de continuer le tennis. Mon père, qui avait disputé le tournoi junior de Roland-Garros, était très déçu.
Au basket, je jouais avec des garçons jusqu’au jour où j’aurais dû intégrer une équipe de filles. J’ai fait des essais, mais ça ne me plaisait pas du tout. En me voyant comme ça, l’un des papas des filles de l’équipe de basket m’a dit : “Je vais t’emmener à la piscine.”
Finalement, je me suis retrouvée dans une piscine avec un ballon. C’est comme ça que tout a commencé. J’avais 11 ans. »
Est-ce que tu peux nous raconter ta carrière de championne de water-polo ? Je crois savoir que tu es une pionnière dans ton sport.
« J’ai été la première joueuse française à jouer à l’étranger : 2 ans en Espagne, 3 ans en Grèce et 2 ans en Italie. Je suis revenue en France et j’ai été la première joueuse à avoir eu un contrat professionnel.
En Espagne à Barcelone, j’avais 19 ans, j’ai tout gagné collectivement et individuellement : le titre, meilleure buteuse, meilleure joueuse du championnat et de la finale devant un public en délire. En Grèce, on a atteint les demi-finales de la coupe d’Europe. En Italie, j’ai joué à Naples. »
Les journées de folie de Louise Guillet
Quel est ton rôle dans l’équipe ?
« Je joue côté gauche et c’est moi qui ai la responsabilité du shoot. En water-polo, on est positionné comme au handball avec un pivot au centre. »
Quelles sont les qualités pour devenir une bonne joueuse de water-polo ?
« Il faut comprendre le jeu. On n’a pas pied et on a juste la tête hors de l’eau. On n’ a donc pas la même vision de jeu que dans les autres sports d’équipe.
Il faut bien sûr, une bonne base en natation et un bon bras pour shooter.
Ensuite, ce qui fait la différence entre une bonne joueuse et une très bonne joueuse, c’est l’envie. L’envie de s’entraîner quotidiennement. Je m’entraîne tous les jours. Le mental, c’est 90% de la réussite d’un athlète de haut niveau.
C’est la même chose dans le bâtiment. Je le vois pour mon père, c’est sa passion et son envie qui font qu’il se lève le matin pour aller sur les chantiers et en obtenir des nouveaux. C’est sa motivation qui fait la différence. »
Quel est ton club actuel ?
« Je joue au Mulhouse Water-Polo ».
Si je résume, tu fais ton stage à Saint-Maur en région parisienne, tu t’entraînes à l’INSEP dans le bois de Vincennes et tu joues à Mulhouse. Comment fais-tu pour concilier tout ça ?
« Ça fait de grosses journées (rires). Je vais en entreprise une fois par semaine. Ce jour-là, l’entraîneur me demande de venir m’entraîner à 6 h du matin ! Je nage toute seule dans la piscine jusqu’à 8 h. Ensuite, je prends mon petit vélo et je vais à Saint-Maur. J’y reste jusqu’à 16 h 30. Ensuite, je retourne à l’INSEP, toujours à vélo, pour m’entraîner jusqu’à 20 h !
Certaines semaines, j’ai aussi des cours du lundi au vendredi à Montreuil pour devenir conductrice de travaux. Ma formatrice me permet de ne venir que l’après-midi. Comme ça, j’ai tout le temps de m’entraîner le matin. C’est une question d’organisation. »
Pour Louise, tout est un défi
Lors de nos premiers échanges aux Talentueuses, j’avais déjà remarqué que tu étais une personne très organisée et extrêmement déterminée. Cette interview vient confirmer cette impression.
« Pour moi, tout est un défi.
Le sport bien sûr, mais aussi reprendre l’entreprise familiale. Je marche comme ça. Je ne m’imagine pas un instant être aussi dans un bureau du matin au soir. »
C’est un point commun que tu as avec les artisans du bâtiment. Ils ne savent pas rester en place. Ils se reconnaîtront dans mes propos.
En revanche, ce que je n’avais pas deviné et que je découvre aujourd’hui, c’est ton tempérament de feu.
« J’ai parfois mauvais caractère. »
Est-ce que c’est important pour toi de gagner ?
« Oui, mais pas seulement en compétition, dans tous les domaines. Au fond de moi, jouer pour seulement m’amuser, c’est compliqué. »
Tu as passé une bonne partie de ta vie dans l’eau et tu vas passer une autre partie de ta vie dans un autre élément en tant que façadière, l’air. Quel est ton élément préféré ? Celui où tu te sens le mieux ? L’air ou l’eau ?
« Même si je n’ai pas encore vraiment testé l’air, je crois que c’est l’air que je préfère ! Parce que l’eau, j’en ai un peu ras le bol, surtout de sentir le chlore depuis trop longtemps (rires).
Et puis, j’aime bien aussi sentir mes appuis. Je sens que l’air va bien me plaire. »
Quels sont tes talents ? Cite-moi, un talent professionnel dans le bâtiment et un talent personnel.
« Dans le bâtiment, c’est ma capacité à analyser rapidement l’état de la façade et à expliquer la situation au client. Mon patron trouve ça impressionnant.
Mon talent personnel, c’est le sport. J’aurais pu aussi réussir dans une autre discipline. »
Poloïste et façadière
Qu’est-ce que la poloïste apprend à la façadière et qu’est-ce que la façadière apprend à la poloïste ?
« La façadière a une qualité qui peut énormément aider la poloïste : c’est la vision des petits détails comme des fissures ou des linteaux mal faits, la capacité d’analyser très vite la situation.
De son côté, la poloïste peut transmettre sa détermination à la façadière. Le water-polo est encore un sport mineur en France. D’une certaine façon, il faut être folle pour faire ce sport à un haut niveau.
Cette détermination va être primordiale pour moi dans le futur au moment de reprendre l’entreprise , à assurer sa pérennité et à la faire évoluer. »
À travers cette interview, on comprend bien ce que tu entends quand tu dis « il faut être folle pour faire ce sport ». Tu t’entraînes au moins autant qu’un joueur de foot ou de basket, avec la plupart du temps des contraintes majeures, comme lorsque tu dois être dans l’eau à 6 heures du matin, mais sans les mêmes retombées (salariales, médiatiques, etc.). Il faut en effet une détermination hors norme pour mener une carrière comme la tienne.
L'interview île déserte de Louise Guillet
Tu es la troisième lauréate des Talentueuses que j’interviewe, après Marion Malandain et Lucie Amand. Comme elles, je vais te proposer de répondre à une interview qui semble avoir été pensée pour toi.
C’est une interview « île déserte ». Qu’est-ce qu’une île déserte ? C’est une terre entourée d’eau. Tu pourras donc t’y amuser en nageant à n’importe quel moment de la journée. Et surtout, c’est une eau sans chlore (rires).
« C’est rigolo cette idée, car parfois, je me dis que j’aimerais bien être sur une île déserte au milieu de l’océan à ne rien faire. Sans téléphone, sans rien, pour qu’on me fiche la paix ! Je serais livrée à moi-même, mais je ne sais pas combien de temps je serais capable de tenir. C’est la seule question que je me pose. » (rires)
Parfait, où serait située cette île déserte ? Dans quelle mer, quel océan, quel continent, quel pays ?
« Elle serait située dans le Pacifique vers la Nouvelle-Zélande et l’Australie, du côté de la Polynésie française, de Bora-Bora. »
Et tu te sens capable de te débrouiller seule ? Est-ce que tu bricoles ?
« Oui, je me vois bien construire un radeau, une cabane, grimper aux arbres pour cueillir des fruits, j’adorais faire ça quand j’étais petite. »
Quel est l’objet ou l’outil que tu prendrais avec toi sur une île déserte ?
« Pour pouvoir construire ma cabane et mon lit face à la mer, j’aurais besoin d’un couteau. Un couteau, ça peut toujours servir, même dans la peinture. Les ouvriers ont toujours leur petit Opinel dans leur poche. »
Quelle serait la première amie qui viendrait te rendre visite ?
« Avant de penser à une amie, je crois que la chose qui me manquerait le plus, ce sont mes chiens (elle rit très fort) ! J’ai deux cockers. Un cocker, c’est bien têtu, ça fait ce qu’il veut quand il veut. »
(Là, c’est moi qui ris très fort.) Écoute Louise, j’ai une petite cocker aussi et c’est son portrait tout craché. Et qui viendrait t’apporter tes chiens ?
« Ma mère. Elle a toujours cru en moi. Elle m’a toujours soutenu, notamment dans mon double projet. Elle a toujours été près de moi. Elle venait me voir tous les deux mois quand je jouais à l’étranger. »
Elle vient avec un cadeau pour toi. Quel serait ce cadeau ?
« Une paire de chaussures, des Nike ou des Adidas. Je suis fan des sneakers. »
C’est amusant, parce que tu as choisi de faire un sport sans chaussures (rires) ! Imaginons que tu envoies une bouteille à la mer de ton île déserte. Quel message écrirais-tu ?
« Ayez confiance en vous, n’ayez pas peur de faire ce qui vous plaît. »
Marion Malandain, qui a également été primée aux Talentueuses, m’a donné la même réponse.
Dans les moments difficiles en solitaire, quel souvenir de tes chantiers pourrait te remonter le moral ?
« Tous les bons moments, toutes les soirées avec mes amis, tous mes exploits sportifs, tout ce que je fais pour reprendre l’entreprise de mon père, tout le positif de ma vie. »
Avec un emploi du temps comme le tien, on comprend que tu aies besoin de t’échapper parfois. Mais est-ce que tu as aussi le temps de lire un bouquin, d’écouter de la musique, de voir un film ? Justement, je te propose d’ajouter dans ton sac à dos un livre, un album ou un film. Lequel choisirais-tu ?
« Je suis en train de lire “Au-delà de tous mes rêves”, l’autobiographie de Tony Parker. Et je viens de terminer un livre sur la police judiciaire. Mes lectures sont variées.
Sur une île déserte, je prendrais la saga “Harry Potter”. On les lit une fois, on les relit et on y découvre de nouvelles choses. Et ça me fait rêver, ça entraîne mon imagination, ça me fait voyager. »
Justement en parlant de rêve, Walt Disney disait: « Pour réaliser une chose vraiment extraordinaire, commencez par la rêver. » Quel est ton rêve ?
« Mon rêve, c’est simple, c’est faire les JO. Ensuite, ce n’est pas seulement un rêve, mais un but, ça sera d’assurer la pérennité de mon entreprise. Et de rendre mon père fier de moi. »
J’ai pu suivre les résultats des matches de l’équipe de France de water-polo pendant les championnats du monde qui ont eu lieu à Tokyo cet été sur ton compte Instagram. J’invite les lecteurs à te suivre en cliquant ici.