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Poigne de fer et séduction : quand une femme s’impose sur les chantiers. Interview de Julie Micaud

Denis Gentile
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Julie Micaud, Coordonnateur SPS

Nouvel épisode de la saga initiée par Bricoman et Tokster sur les femmes dans le bâtiment avec l’interview de Julie Micaud, Coordonnateur SPS. 

Julie nous raconte en toute sincérité son quotidien, ses bonnes et mauvaises expériences, sa passion pour ce métier et ses réflexions qu’elle aime souvent partager sur les réseaux sociaux.

Dans cette interview, j’ai aussi éprouvé le besoin de me remettre en cause. Pourquoi ? Comment ? La réponse est dans l’article.

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Le bâton d’un côté, le code du travail de l’autre ?

Bonjour Julie, est-ce que c’est facile pour une femme de travailler dans le secteur du bâtiment ? 

« Franchement, je ne ressens aucune difficulté à travailler dans ce milieu très masculin.

Je suis de nature extravertie et sociable, j’essaie donc naturellement de me frayer une place lorsque j’arrive sur le suivi d’un nouveau projet.

Je pars du principe que je n’ai aucun a priori sur les personnes que je vais rencontrer. Je laisse les choses se passer et j’aime surtout ajouter de la bonne humeur lors de mes échanges. »

Quelles sont les difficultés ou les réticences que tu rencontres ? 

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Julie Micaud, Coordonnateur SPS

« Je crois que les difficultés que je rencontre ne sont pas forcément liées au fait que je sois une femme, mais c’est plutôt lié à mon activité.

En tant que coordonnateur SPS, Sécurité Protection de la Santé, je porte la casquette d’un personnage répressif sur le chantier.

La plupart des gens me voient arrivé comme un contrôleur sécurité ! Le bâton d’un côté, le code du travail de l’autre.

Je reçois donc, de temps en temps,  un accueil assez réticent. Alors, je prends un réel plaisir à désamorcer les situations tendues.

Il m’est même arrivé de recevoir une carte BTP en pleine figure ! 

Je n’avais vraiment eu aucune ouverture au dialogue avec cette personne qui se trouvait dans l’insécurité sur une toiture.  Cette fois-ci, j’ai dû repartir du chantier parce que ça devenait trop compliqué à gérer. Mais, c’est vraiment extrêmement rare et je ne me focalise pas du tout sur ce genre d’évènement. »

Le rôle du coordonnateur SPS

Pourrais-tu définir ton rôle : Coordonnateur du bâtiment ? Au fait pourquoi ne dit-on pas coordonnatrice ?

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Julie Micaud, Coordonnateur SPS

« Le rôle du coordonnateur SPS, c’est de gérer la co-activité des entreprises d’un chantier BTP en y appliquant les principes généraux de prévention du Code du travail.

Je regarde si les différentes tâches et la méthodologie de travail de chaque entreprise sont compatibles, cohérentes et respectent la réglementation en matière de sécurité. 

À chaque démarrage d’une entreprise sur un chantier, je réalise ce que l’on appelle une inspection commune. Il s’agit d’un temps d’échange avec les intervenants dans lequel je leur rappelle des règles de sécurité et des particularités liées au chantier.

Ensuite, je prends également toutes les données des entreprises et j’écoute en amont leur futur mode opératoire. Si cela n’est pas en adéquation avec les règles et les particularités, alors nous échangeons pour trouver des solutions avant que le chantier puisse commencer.


Par la suite, je visite régulièrement le chantier pour vérifier que nos échanges ont bien porté leurs fruits et que le travail se passe dans les meilleures conditions pour les équipes. »

Et sur ton titre, ça ne te gêne pas qu’il soit au masculin ? 

« Ma mission est purement réglementaire et extrêmement bien définie dans le Code du travail.

C’est vraiment une dénomination qui ne me dérange pas du tout. Je me présente toujours comme étant le coordonnateur, certains transforment ce terme au féminin lorsqu’ils me présentent à leur équipe et ça ne me froisse pas non plus. »

 

Insuffler un air nouveau dans la bâtiment

Est-ce que certains matins, tu n’as pas envie d’aller sur un chantier ?

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Julie Micaud, Coordonnateur SPS

« Jamais, ça ne n’arrive jamais de ne pas vouloir aller travailler.

Je vis vraiment ce job avec passion. Je suis plutôt du genre à fatiguer mon entourage familial avec le suivi de mes projets en cours , que je ne peux m’empêcher de raconter lorsque je rentre chez moi.

Chaque passage sur le chantier est l’occasion de voir l’avancement des travaux, voir le projet prendre forme, c’est vraiment quelque chose que j’aime. »

Dans un de tes posts sur les réseaux sociaux, tu parles d’insuffler un nouvel élan dans le bâtiment ? Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce qu’une femme apporte au secteur du bâtiment ?

« J’entends par insuffler un air nouveau, une autre manière de mener les missions de coordinations de sécurité et santé au travail.
Je ne crois pas que cela soit lié au fait d’être une femme, même si c’est aussi un peu nouveau.

Pour moi, insuffler de la nouveauté, c’est arrêter de voir cette mission de sécurité comme une répression permanente

Je ne mène pas ma mission avec le Code du travail sous le bras et le bâton de l’autre !

Même s’il y a des fondements incontournables de sécurité, j’attends avant tout que les gens fassent preuve de bon sens, qu’ils se sentent investis dans la sécurité, mais que cela soit bienveillant et intelligent.

J’essaie également de privilégier la communication. Se faire une place sur le terrain, c’est aussi et avant tout savoir écouter les autres, comprendre les situations et venir apporter une touche supplémentaire.

Je ne suis là que pour poser des jalons. Clairement, je n’ai pas pratiqué tous les métiers du BTP avant d’en arriver là, c’est important de laisser les hommes de terrain m’expliquer leur méthodologie avant d’arriver avec mon pavé réglementaire ! 

J’essaie de privilégier une approche avec bonne humeur, et savoir si tout va bien pour démarrer cela me semble essentiel.

Sécurité et santé au travail, c’est pour moi prendre en compte le bien-être mental des personnes qui sont sur les chantiers, je crois que ça aussi c’est dans l’air du temps.
  
Nous sommes en permanence stressés, en train de courir à droite et à gauche montre en main pour réaliser au quotidien des objectifs de plus en plus conséquents. La crise sanitaire et les problèmes d’approvisionnement ne font qu’accroître ce phénomène d’affolement général. C’est vraiment important de sonder et souder les équipes sur un site . Puis, quand c’est nécessaire, faire remonter des informations pour revoir certaines situations. »

Les règles du chantier selon Julie Micaud

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Les règles du chantier selon Julie Micaud
Les règles du chantier selon Julie Micaud

Tu as aussi publié cette photo avec les règles à suivre sur un chantier. Peux-tu nous parler de cette initiative et nous dire comment elle a été élaborée, puis accueillie ?

« Je n’ai pas totalement inventé ces règles, je les ai vues sur les réseaux sociaux via un grand groupe de construction français, et je dois dire que j’ai trouvé l’idée séduisante.
J’ai retravaillé les phrases pour qu’elles soient en corrélation avec ma mission.
 
J’ai proposé de l’afficher dans les bungalows pour les équipes le souhaitant. Il y a des rappels des règles de base avec une touche de bonne humeur et de convivialité. Je pense que cette action vise à conserver des liens entre les compagnons.

Certains ont bien perçu le côté humoristique et c’est tant mieux. 

Je ne me contente pas d’afficher les règles, ce genre d’action doit me permettre de créer, conserver du lien et du dialogue entre les compagnons. C’est une action de terrain. » 

Mon père a été mon mentor

Je viens de publier l’interview de Remi Maurice, un super plombier qui a eu envie de faire ce métier à l’âge de 12 ans en observant les travaux que des artisans faisaient chez ses grands-parents. Et toi, quand as-tu eu l’idée et l’envie de te lancer dans ce secteur ? Autrement dit, qu’est-ce qui dans ton histoire t’a donné envie de faire ce métier ?

« Mon papa a eu une entreprise artisanale pendant 28 ans : une menuiserie générale. Il faisait de l’ébénisterie, de la création d’agencement, des meubles.

Par exemple, il a été l’agenceur de studios de radio comme « Alouette » en Vendée, ou encore RTL et Fun Radio à Paris.  Je pense que cela m’a donné l’envie de me rapprocher de ce milieu où la créativité a une place importante. Je me suis intéressée au design des bâtiments.
 
J’ai fait des études de génie civil parce que j’avais comme première idée de devenir conductrice de travaux sur les chantiers de type collectifs.  En fin de cursus, j’ai décidé d’intégrer l’entreprise familiale.
 

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Julie Micaud, Coordonnateur SPS

Mon père est alors devenu mon mentor. 

J’ai passé 7 années à travailler avec lui. C’est un homme incroyablement humble, qui a toujours dirigé son entreprise en « bon père de famille » avec toute son équipe.
Au travail, je n’étais plus son enfant, mais sa collaboratrice. Les choses avaient été posées dès le départ (rires). 

Il y a eu des moments difficiles dans cet apprentissage à ses côtés, parce que j’étais jeune et sûrement un peu rebelle. Mais avec du recul, je ne garde que le meilleur. Il m’a donné le goût du travail, de l’organisation et la capacité à être multitâche (c’est le lot des petites entreprises du BTP) et surtout il m’a permis de me former au système constructif bois MBOC, puis aux structures des bâtiments économes en énergie et cela dès 2008, avant même les nouvelles réglementations thermiques de 2012.

Ensuite, je suis devenue opérateur mesureur 8711,  certificateur RT2012, contrôleur de l’étanchéité à l’air des bâtiments neufs économes en énergie. J’ai fait ça en parallèle de mon travail à la menuiserie familiale.

Ce n’est qu’en 2018, que l’idée de devenir coordonnateur SPS m’a traversé l’esprit. Je voyais ça comme une évolution et j’avais besoin d'un changement. Les tests d’étanchéité devenaient routiniers.
 
J’ai appelé un bureau de contrôle pour une formation. Finalement, ils m’ont directement embauché dans leur entreprise.

Aujourd’hui, je travaille chez Apave à l'agence de La Roche-sur-Yon. Apave est un Groupe international fondé il y a plus de 150 ans, spécialiste de la maîtrise des risques techniques, environnementaux, humains et numériques. 

Concrètement, la mission  d’Apave est d’aider les entreprises, de toutes tailles et de tous secteurs, mais aussi les collectivités à garantir et à améliorer la sécurité des personnes et des biens, à protéger l’environnement. »

Miss Vendée ou coordonnateur SPS

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Denis Gentile, jeune journaliste avec Miss Vendée
Denis Gentile, jeune journaliste avec Miss Vendée

C’est quand même rare de voir des femmes qui sont baignées dès leur plus jeune âge dans l’ambiance de l’artisanat du bâtiment. Est-ce que tu crois qu’aujourd’hui d’autres femmes sont comme toi ? 

C’est une façon aussi d’évoquer les stéréotypes qui portent les femmes à rêver de se lancer dans d’autres secteurs comme la mode, réputés plus féminins ? 

Je vais même personnaliser la question. J’ai commencé ma carrière professionnelle dans ta ville, La Roche-sur-Yon. J’ai fait un stage, alors que je n’avais que 19 ans, à la rédaction de Presse-Océan. J’ai écrit et signé mes premiers papiers. Le reportage qui m’a marqué est l’élection de Miss Vendée. J’ai même une photo de moi offrant un bouquet de la part du journal à Miss Vendée. Tu vois peut-être où je veux en venir. L’image de la femme, c’est plus « Miss Vendée » que la « coordonnateur SPS », non ? Autre question, est-ce qu’on peut travailler sur un chantier et garder sa féminité ?

« Oui peut-être, je ne me suis jamais posé cette question, je suis entrée à l’école en génie civil alors que je n’avais que 16 ans. On était 26 garçons et 2 filles dans ma classe, mais pour autant ça ne m’a pas démotivé.

Je suis une anti-cliché et une anticonformiste, toute ma vie est atypique, y compris ma carrière professionnelle.


Je peux admirer autant Miss Vendée qu’une femme sur un chantier qui fait de la peinture.
Et d’ailleurs, un homme coiffeur ou sage-femme, ça ne me choque pas non plus !

Quant à la féminité, pour moi il n’y a pas de changements flagrants, je reste comme je suis tous les jours, j’ai juste une veste orange en plus et des chaussures de sécurité.

J’aime être maquillée et coiffée, mais je réserve les jupes pour le week-end ! » 

Des questions trop masculines ?

Je m’aperçois que ce n’est pas si évident pour moi, un garçon, de poser des questions à une fille sur son rôle dans le secteur du bâtiment. Je me dis que mes questions sont trop masculines. Est-ce que je me trompe ou est-ce que tu ressens cela ? 

Je te donne un exemple, quand j’interviewe un homme, je ne lui demande pas : « qu’est-ce qu’un homme peut apporter au secteur du bâtiment ? » Alors quelle est la vraie question que je devrais évoquer avec toi ? Je me dis qu’on devrait plutôt centrer l’interview sur la qualité du travail et l’importance de ton rôle ?

« Non Denis, je comprends tout à fait toutes tes questions, il est vrai que je suis du côté minoritaire de la force ! (rires)

Maintenant, je ne sais pas si j’apporte plus, ou si j’apporte quelque chose de différent.
Je dirais que j’apporte une complémentarité. Oui, c’est ça. 
J’ajoute une touche avec une vision plus féminine et cette touche est complémentaire dans une équipe d’homme, quel que soit le domaine.
Cela est sûrement vrai aussi pour des métiers dits plus « féminins » où l’on retrouve des hommes qui apportent sûrement une autre vision. »

Les femmes sont plutôt dans le second œuvre

Quand tu vas sur les chantiers, est-ce que tu rencontres beaucoup d’artisanes ? Et pourrais-tu me citer l'une d’entre elles qui mériterait qu’on parle d’elle dans un article ?

« Il est vrai que je rencontre peu de femmes sur les chantiers. Dans la majorité de mes dossiers en cours, je ne croise même aucune femme.

Parfois, elles sont plutôt présentes dans le second œuvre. Elles posent du carrelage ou font de la peinture, mais c’est encore minoritaire.

Je travaille avec des femmes surtout sur les parties qui concernent la maîtrise d’ouvrage ou la maîtrise d’œuvre (l’architecture).

En ce moment, j’ai la chance de travailler sur des projets au Puy du Fou, et de côtoyer Magaly Chaigneau qui est chargée de projet en architecture et suivi de construction sur le parc. Je suis toujours ravie d’échanger avec elle sur notre passion commune. D’ailleurs, j’aime écouter les expériences d’autres femmes. »

Susciter des vocations chez les femmes

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Julie Micaud, Coordonnateur SPS

C’est en parcourant les réseaux sociaux que j’ai vu ton profil et j’ai eu envie de faire cette interview. Quelle est aujourd’hui l’importance des réseaux sociaux pour le secteur du bâtiment ? 

« Le BTP évolue en permanence : nouvelles techniques de constructions, nouvelles normes, matériaux innovants. Il a donc tout à fait sa place sur les réseaux sociaux. » 

Est-ce que les réseaux sociaux permettent de faire changer les mentalités et d’encourager les femmes à aller dans ce secteur ? 

« Oui, je pense que des femmes partageant leurs expériences sur les réseaux sociaux peuvent aujourd’hui donner envie à la jeune génération féminine de se diriger vers des métiers dits plus masculins. »  

Car, finalement l’objectif de ces interviews, c’est d’encourager certaines femmes à franchir le pas. Quel serait justement ton message d’encouragement ? 

« Je crois qu’il faut vraiment se faire confiance lorsqu’on fait un choix de passion, tout est possible. Nous passons tellement de temps au travail dans notre vie qu’on ne peut pas se contenter de faire des choix de raison où l’épanouissement ne sera pratiquement jamais au rendez-vous.

Il faut se faire confiance, croire à son instinct et je pense que le reste suivra, les portes finiront toujours par s’ouvrir. »

Le casque !

Si tu étais un outil du bâtiment qui exprime bien ton métier, ta personnalité ou ta démarche, tu serais … ? 

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Casque de chantier DELTA PLUS disponible chez Bricoman
Casque de chantier DELTA PLUS disponible chez Bricoman

Allez, je prends celui qui me caractérise le plus lorsque j’arrive sur un chantier : non, ce n'est pas le marteau ! (rires) Il s'agit bien sûr du casque !

Ce casque qui est vissé sur ma tête une bonne partie de l’année et que j’aime voir porté par tous sur les chantiers. Pour moi, cela représente aussi l’engagement pour la sécurité, c’est à la fois une protection et aussi une manière de s’identifier. 

Et si tu étais le mot de la fin de cette interview, tu serais… ?

« Bienveillance ! 

Je crois que si tout le monde faisait preuve de bienveillance, et c’est ce que j’essaie d’insuffler sur les chantiers, nous arriverions à un accompagnement plus positif des compagnons. Pour moi, c’est la base afin d’obtenir l’adhésion de mon interlocuteur.

Montrer à celui à qui vous vous adressez qu’il a un rôle essentiel, que ce qu’il fait vous intéresse est pour moi indispensable. Sans les compagnons et les artisans sur le terrain, rien ne peut être réalisé, concrétisé. Les comprendre et les écouter est pour moi le plus important. 

Merci Denis pour cette interview. »

Je t’en prie Julie, il ne me reste plus qu’à trouver le bon titre pour cette interview exceptionnelle. Je crois que je vais demander à une femme, ma rédactrice en chef.

Denis Gentile
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