Certificats d’économies d’énergie : une 5e période pleine d’incertitudes
Éclipsés par le dispositif public MaPrimeRénov’, dont le succès est désormais reconnu, les Certificats d’économies d’énergie (CEE) issus de capitaux privés restent cependant le premier levier de financement de la rénovation énergétique en France. Et si Barbara Pompili vient d’annoncer l’intégration de cinq nouveaux programmes d’économies d’énergie pour un montant de près de 100 M€, les spécialistes du secteur de la rénovation thermique s’inquiètent d’un trou d’air en ce début de 5e période (janvier 2022-décembre 2025).
Pourtant, à en écouter le ministère de la Transition écologique, tout roule comme sur des roulettes. « Ce dispositif a déclenché entre 1 et 2 millions d’opérations d’économies d’énergie par an », précise-t-il, mentionnant les grandes évolutions opérées depuis 2018 et le renforcement des aides pour les ménages à partir de 2019, avec le « Coup de pouce Chauffage » qui aurait permis d’engager 1 million de remplacements de systèmes de production de chaleur en 3 ans. « Ces travaux permettront aux ménages concernés d’économiser, chaque année, 600 M€ sur leurs factures énergétiques, et d’éviter, chaque année, l’émission de près de 3 Mt de CO2 ».
Mais en ce début de 2022, le Groupement des professionnels des CEE alerte les pouvoirs publics sur la politique d’efficacité énergétique. Dans une tribune, il explique : « Le paysage de la rénovation est peuplé de paradoxes : licenciements et fermetures d’entreprises historiques de l’isolation tandis que d’autres moins scrupuleuses fleurissent ; hausse de la facture des ménages et des entreprises à laquelle s’oppose une baisse historique des primes CEE ; une volonté d’aider les ménages les plus modestes confrontée à un désintérêt croissant des acteurs économiques réalisant les travaux éligibles… ». Symbiote, le syndicat multibranches des industries et opérateurs de la transition énergétique, estime à -80 % le nombre de chantiers de rénovation en isolation des combles, des murs et des planchers. Selon ses données, il y aurait « des licenciements massifs et des fermetures d’entreprises depuis les 6 derniers mois avec une estimation de pertes d’environ 13 000 emplois », ainsi qu’une « diminution de l’ordre de -50 % des ventes d’isolants et d’équipements ». Même son de cloche du côté de l’Ecima (fabricants de ouate de cellulose), qui avertit le ministère de la Transition : ses adhérents font face « à la baisse brutale des ventes d’isolants », estimée à -80 % depuis octobre 2021 pour les isolants utilisés dans les combles, chute directement liée à la baisse des primes initiée mi-2021 pour faire fuir les éco-délinquants. Emmanuel Bavouset, le président de l’Ecima, assure : « Le risque à court terme est de voir une partie des acteurs de la filière disparaître, et avec eux, le savoir-faire acquis ces dernières années. Le résultat sera indéniablement une chute de la qualité des travaux et donc de la performance des bâtiments rénovés, ce qui est exactement l’inverse de notre objectif ».
Plus de volume global mais moins de bonification
Pour la 5e période, les volumes d’aides sont cependant bien en hausse, avec 2 500 TWh cumac d’économies prévues (+17 %), dont 730 TWh dédiés à la lutte contre la précarité énergétique (+37 %). Effy analyse : « Les enjeux de cette nouvelle période sont clairs : l’État souhaite recentrer la distribution des aides chez les ménages qui en ont le plus besoin. Jusqu’à présent, l’obligation précarité pouvait être remplie par la réalisation de travaux chez 50 % des ménages (modestes et très modestes). Désormais, pour pouvoir la remplir, il faudra réaliser des travaux uniquement chez les très modestes qui représentent 25 % des ménages ». La 5e période verra également le renforcement des contrôles et la mise en place du nouveau référentiel pour le RGE et les fiches travaux (PAC, chaudières biomasse à compter du mois d’avril 2022, chaudières gaz, thermostats, ventilation et radiateurs électriques à compter de janvier 2023). Un grand nombre de « Coups de pouce » a déjà été supprimé et les derniers concernant l’isolation disparaîtront au 1er juillet 2022. Mais d’autres demeurent toutefois, notamment pour les PAC air-eau, les chaudières biomasse, les systèmes solaires combinés et surtout pour la rénovation globale, prochain cheval de bataille de l’exécutif. En tout état de cause, la 4e période qui valorisait accordait une forte bonification (42 % en moyenne) sera remplacée par une 5e période moins généreuse (25 %).
Et la revalorisation des CEE ne semble pas à l’ordre du jour. Le ministère annonce étudier avec attention les chiffres remontés par les professionnels afin de trouver la bonne réponse à apporter. Sylvain Bonnot, président de Myral (ITE), interpelle le Pôle national des certificats d’énergie « pour obtenir un délai de 3 mois supplémentaire » avant la fin du doublement de la valorisation des CEE pour les ménages en situation de grande précarité, initialement fixé au 30 avril. Ceci afin que des chantiers supplémentaires puissent être honorés. De son côté, Symbiote demande la remise en place d’un nouveau Coup de pouce afin de limiter l’effondrement des travaux d’isolation « dont la bonification et le forfait pourraient être calculés sur la base d’un coût €/m² permettant la relance des travaux vers les plus précaires » avec un prix maximal revu annuellement en fonction de l’évolution du prix des CEE. Le syndicat suggère également une augmentation de 500 TWh pour les certificats isolation et chauffage réalisés chez les précaires, ainsi qu’une augmentation de la bonification de la fiche BAR-TH-164 pour s’orienter vers une approche de rénovation globale. En contrepartie, les professionnels s’engageraient à signer une charte sur les Coups de pouce, afin d’équilibrer les actions de travaux…
Le plein de nouveaux programmes
Principalement composé de programmes d’accompagnement et d’incitation, le dispositif des CEE s’est enrichi, en ce début de 2022, de cinq nouvelles initiatives. Un appel avait été passé en ce sens au mois de novembre 2021, par le ministère de la Transition écologique. Parmi les lauréats, figure le programme SoNum pour Sobriété Numérique, qui a pour objectif de réduire les consommations d’énergie liées à l’usage du digital, grâce à des actions de sensibilisation et de formation, mais aussi avec la création d’un label, d’une base de données publique et de référentiels pour mieux mesurer les impacts. Ce projet, porté par l’Ademe, sera doté de 15 M€. Autre nouveauté, le programme Baisse les watts, qui s’adressera à 700 000 TPE/PME afin de les encourager à réduire leurs consommations électriques. Environ 60 000 d’entre elles bénéficieront d’un accompagnement personnalisé, adapté à leur métier. Porté par La Poste, ce programme disposera d’une enveloppe de 26 M€. Enfin, le programme Lum’Acte proposera aux collectivités locales de les aider dans la rénovation de leur éclairage public. D’ici à deux ans, entre 2 et 3 millions de points lumineux (sur les 10 millions que compte la France) auront été diagnostiqués et rénovés. Les autres programmes retenus concernent le secteur des transports.