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Pierre Dieuzeide

Les quatre vérités de Thierry Garnier, “the big boss” de Kingfisher

Thierry Garnier
CEO de
Kingfisher
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Thierry Garnier, CEO du groupe Kingfisher.

[EXCLU] Il est polytechnicien, écrit et parle chinois. Il a même débuté comme conseiller de Michel Barnier. Aujourd’hui, Thierry Garnier dirige Kingfisher, propriétaire entre autres de Castorama et Brico Dépôt). Il répond à la rédaction de Zepros Habitat sans se dérober : marketplace, format des magasins, compact Brico Dépôt, franchise, rachat de Mr. Bricolage, index partagé – ou pas– avec Leroy Merlin, tests de livraison avec Uber Eats ou Deliveroo… Morceaux choisis.

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Comment intègre-t-on un polytechnicien dans une GSA ?
Thierry Garnier

Comme stagiaire ! Voilà comment je suis rentré chez Promodès (Carrefour)… Stagiaire, directeur de magasin pendant un an, caissier, boucher, poissonnier, j'ai géré le rayon d'épicerie. J'ai fait tous les métiers pour les apprendre… Au bout d'un an directeur d'un hyper à Libourne et un an plus tard directeur régional dans le Nord où j'ai contribué à transformer cinq magasins Continent en Carrefour avant de passer directeur régional à Paris. Et là, le groupe Carrefour a fait un pari incroyable parce qu'ils m'ont nommé directeur général de Champion. Ainsi, ils me faisaient sauter trois étapes de carrière. Un vrai pari. J'avais 36 ans et je me retrouvais à la tête de la deuxième entité de Carrefour en taille à cette époque-là avec 14 milliards d'euros de chiffre d’affaires, 80 000 personnes, 1000 magasins dont 40 % des magasins étaient franchisés. Un sacré pari… 

Vous avez parcouru le monde, emmenant finalement votre famille en Chine pendant sept ans et demi. Là-bas, vous apprenez à parler et écrire chinois. Qu’est-ce que ce pays vous a appris aujourd’hui en tant que CEO de Kingfisher ?
Thierry Garnier

Nous avons tous été très impressionnés par le retail chinois. L’innovation de la distribution en Chine est toujours une source d'inspiration largement sous-estimée dans le monde aujourd'hui, même si j’entendais dire au DIY Global Summit que Doug Milan, de Walmart, avait été fortement inspiré par le retail chinois. 

Quelles innovations asiatiques pourraient aujourd’hui infuser chez Kingfisher ?
Thierry Garnier

La vitesse… notamment dans le e-commerce ! Nous ne sommes qu’au début de l’aventure du e-commerce et nous allons vivre des années de progression. Notre stratégie depuis 2019 est d’affirmer que nous croyons à la vitesse et au choix. Les jeunes générations sont sur la vitesse, c’est une tendance de fond. Or, si vous voulez aller vite, il faut préparer en magasin, pratiquer le click&collect et la livraison à domicile, y compris rapide. La préparation, chez Screwfix, c’est une minute ! À chaque fois que je dis cela, on me répond : « Non, c’est une blague ! ». Mais non, c’est un véritable engagement, et Screwfix livre aussi à domicile en moins d'une heure sur 60 % de l'Angleterre. Je peux même vous révéler les statistiques du mois dernier : la moyenne était de 38 mn.

Oui, mais il y a la concurrence des grands spécialistes type Amazon. Vous pourriez raisonner par grand stock centraux…
Thierry Garnier

Nous ne croyons pas à un gros “fulfillment center” au milieu de la France ou de l'Angleterre qui va vous livrer dans trois jours. Évidemment, c'est beaucoup plus confortable que de faire la préparation magasin. Ce n'est pas notre stratégie. Et nous pensons que si nous voulons être un concurrent efficace d'Amazon, c'est en s'appuyant sur nos magasins et en poussant le click&collect. Nous possédons un actif qu'Amazon n'a pas. De toute façon, si vous voulez faire la même chose qu'Amazon, il est bien possible qu'Amazon le fasse mieux que vous. 

« Nous réfléchissons à des tests de livraison avec Deliveroo ou Uber. »

Quand vous parlez d’actifs qu’Amazon n’a pas, il s’agit du réseau de magasins ?
Thierry Garnier

Oui, bien sûr ! Dans un magasin, vous avez l'assortiment, les équipes, vous avez déjà les charges, pas de coûts additionnels, alors qu’en créant un entrepôt vous créez des millions d'euros de coûts supplémentaires. Aujourd’hui, nous sommes à 30 mn à une heure des clients… maximum. Avec peut-être, pour Brico Dépôt, un retrait en deux heures, mais nous réfléchissons à faire baisser cela, même via des tests avec Deliveroo pour B&Q ou même Uber Eats pour livrer à domicile. 

Justement en parlant de choix, vous développez enfin la marketplace en France...
Thierry Garnier

Nous avons cru très vite aux marketplaces… dès 2020, avec un démarrage chez B&Q début 2021. Et l'année dernière, nous avons réalisé 200 M£ [soit l’équivalent de 237 M€ : Ndlr] de GMV (volume d’affaires). Depuis, nous avons démarré l'Espagne, le Portugal, Castorama France, la Turquie, bientôt la Pologne. Hormis la Roumanie, nous serons dans tous nos pays avant fin 2024.

Est-ce que vous ne souffrez pas d’un manque de maillage et donc de proximité ?
Thierry Garnier

Je ne peux pas être plus d'accord avec vous ! Les magasins compacts sont dans nos priorités depuis 2020. C'est l’une des grandes tendances mondiales depuis des années, les petits formats. Mais il y a encore de nombreux pays sans petits formats qui ressembleraient à des Mr. Bricolage ou Weldom en France. En Angleterre, Espagne et Pologne par exemple, ces formats ne sont pas développés. Nous, nous avons décidé de faire des tests et les deux tiers nous ont satisfaits ! 

Casto’ Levallois ou Solférino : les résultats de ces concepts sont-ils satisfaisants ?
Thierry Garnier

Oui, nous en sommes très satisfaits mais chez Castorama, notre priorité est ailleurs : nous avons un plan pour améliorer la rentabilité de Castorama car aujourd’hui, le profit n'est pas au niveau attendu. Donc, même si nous sommes satisfaits, nous freinons un peu l'équipe Casto en disant : « D'abord, essayons de bien faire le plan annoncé avant de rajouter trop de priorités ». Il faut hiérarchiser. Cela dit, nous testons beaucoup en Angleterre aussi avec des B&Q Locals dans des High Street, donc dans des rues passantes et aussi des B&Q de 2 000 m² dans des petits retail parcs très performants et que nous déployons. Enfin, nous testons des Screwfix ultra-compacts en centre-ville qui sont vraiment très intéressants. 

« Reprendre Mr. Bricolage ? Ce n’est pas dans notre agenda. »

Des projets de “micros Screwfix” en vue ?
Thierry Garnier

Oui, des Screwfix City. Nous en avons sept ou huit maintenant dans Londres. Et bien sûr, nous testons en France le Brico 1 000 m2 [Brico Dépôt Compact comme à Cahors : Ndlr]. Très intéressant mais trop tôt pour en parler, mais je crois que vous connaissez le sujet.… Enfin, nous avons aussi des petits magasins en test en Pologne. 

Comment jugez-vous les résultats actuels des grands formats par rapport aux petits formats ?
Thierry Garnier

L’année 2023 n’a globalement pas été très bonne pour ce qu'on appelle les gros projets – cuisine, salle de bains, etc. – vendus essentiellement par les plus gros magasins, typiquement les nôtres ou ceux de Leroy Merlin, plus impactés que les petits magasins. Je crois beaucoup aux petits formats de façon générale, mais cette année ils bénéficient vraiment d’une prime à la baisse d’achats de gros projets. 

Sourcing et offres : comment vous situez-vous par rapport à vos concurrents ?
Thierry Garnier

La moitié de nos ventes sont le fait des marques propres avec des produits différents et une meilleure marge. Et c'est l’une des grandes chances de Kingfisher d'avoir vraiment créé une équipe de développement de marques propres avec des designers, des ingénieurs. Et ce n’est pas à moi qu’on le doit mais à l’équipe précédente. 

« Nous pensons que certaines des initiatives [de scoring] ne résisteront pas aux pressions des réglementations de l'anti-greenwashing. »

Que pensez-vous de l’initiative de Leroy Merlin Home Index pour noter la qualité des produits ?
Thierry Garnier

Nous avons lancé pour notre part une initiative qui s'appelle Green Star qui arrive en France. 

Pourquoi ne pas faire cause commune avec Leroy Merlin ?
Thierry Garnier

Aujourd’hui, vous avez de plus en plus de réglementations 'anti-greenwashing’, désolé pour l’anglicisme. Face à ces très fortes contraintes, nous avons décidé de rester sur un signe, Green Star, qui montre que ce produit est un plus. En clair, nous pensons que certaines des initiatives que vous voyez aujourd'hui ne résisteront pas aux pressions des réglementations. Donc, on a bien réfléchi à tout cela. Et nous pensons, à l’instar d’Ikea qui met un rond rouge pour ses produits positifs, qu’on restera sur Green Star. 

Vous pensez donc que la note du Home Index est un risque ?
Thierry Garnier

Nous avons jugé pour notre part que nous ne pourrions pas durablement communiquer de cette façon, d’autant que certains pays sont plus stricts que d'autres – ce qui est le cas de l’'Angleterre – et que la réglementation française ou européenne tendra sans doute vers cela. 

Pierre Dieuzeide
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