Grégoire Noble

« Les clients sont plus “plug & play” en Europe du Nord que du Sud »

Xavier Mathelin
directeur d’Ubbink France et directeur groupe (division Chauffage) pour Centrotec Industries
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Xavier Mathelin, directeur Ubbink France et directeur groupe (division Chauffage) pour Centrotec Industries

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Le négoce est-il homogène en Europe ou y a-t-il des différences dans la distribution BtoB avec nos principaux voisins ?
Xavier Mathelin

Il exsite des différences notables. En France, le paysage est très segmenté entre matériaux, quincaillerie, électricité et sanitaire-chauffage. Ce n’est pas le cas au Bénélux par exemple, où c’est un seul et même négoce qui distribue sanitaire-chauffage et électricité. En plomberie-sanitaire, une enseigne française vendra plutôt des marques tierces, alors qu’en Allemagne, elle vendra sa propre marque. Car outre-Rhin, les industriels intègrent davantage de systèmes complets et vont jusqu’à proposer la maintenance, notamment pour les chaudières. Ce travail en direct traduit un souci de rigueur et de maîtrise de la qualité, mais il est également beaucoup moins souple pour les petits installateurs. Au Bénélux, la situation est intermédiaire.

Ubbink, justement, est un groupe néerlandais. Pouvez-vous nous éclairer sur ce marché ?
Xavier Mathelin

La distribution aux Pays-Bas intègre davantage de choses qu’ailleurs. La préfa chez nous est pensée par l’industriel, pour tout ce qui est dosserets ou connectique par exemple. Aux Pays-Bas en revanche, cette partie est conçue par le négoce lui-même. La palette de service est donc plus étendue et la culture est différente aussi.
En Hollande, les professionnels peuvent se faire “recharger” leur camionnette la nuit, par des livreurs, en déverrouillant leur utilitaire à distance, grâce à une serrure connectée. De la même façon que vous pouvez autoriser un postier à déposer un colis chez vous. Mais là, la camionnette est géolocalisée par le livreur. Le lendemain, le pro peut partir directement sur le chantier, avec tout ce qu’il lui faut. Mais ce qui est possible aux Pays-Bas, un pays peu étendu et à la densité très élevée, amenant d’importants problèmes de circulation en journée, n’est pas forcément applicable dans d’autres pays. Ou alors, seulement en Île-de-France qui concentre environ 13 millions d’habitants sur un petit territoire.

« Aux Pays-Bas, les artisans peuvent faire “recharger” leur camionnette la nuit par des livreurs en déverrouillant leur utilitaire à distance grâce à une serrure connectée. »

La chaîne de valeur est donc forcément déplacée ?
Xavier Mathelin

Oui, elle n’est pas la même. Les prix sont traités en triple net en Europe du Nord. Les clients sont davantage “plug & play” que dans l’Europe du Sud (France, Italie et Espagne). La valeur ajoutée est amenée avec des produits complets en livraison. La notion des métiers de la distribution n’est donc pas la même selon les pays. Tous ont des enjeux de logistique et tous ont besoin de disponibilité à J-0. Mais la complexité est différente entre les pays où le client est livré sur chantier ou en atelier, et les pays où il se déplace encore pour venir à un comptoir. Les négoces qui gèrent beaucoup de livraisons peuvent mieux planifier la disponibilité des produits, notamment grâce à l’historique de livraison des clients. C’est moins le cas en magasin ou en corner, puisqu’un artisan se présentant un jour à l’agence A, peut le lendemain choisir de se rendre à l’agence B parce que son trajet est différent. Mais il en attendra le même service, ce qui peut devenir un casse-tête pour l’enseigne.

« La notion des métiers de la distribution n’est donc pas la même selon les pays. Tous ont des enjeux de logistique et tous ont besoin de disponibilité à J-0. Mais la complexité est différente entre les pays. »

À quels développements peut-on s’attendre dans le secteur du négoce ?
Xavier Mathelin

Les jeunes artisans ont l’habitude de tout avoir sur leur smartphone. Mais ils auront quand même besoin de contact humain et continueront de passer en négoce. Dans toute l’Europe, se pose la question des surfaces de vente et des surfaces de stocks qui sont peut-être surdimensionnés aujourd’hui par rapport aux volumes de vente. Il y a des notions de coût et de fréquentation qui entrent en compte. Et il faut suivre l’évolution des modes de consommations des artisans. Mais il y a encore un distinguo, pas évident à faire, entre livraisons en corner, en casier 24 h/24 ou sur chantier : où commence le dernier kilomètre ? La part du web est très différente selon les produits, mais pour ma part, je considère qu’il s’agit seulement d’un magasin de plus.

Qu'en est-il du cas particulier du Royaume-Uni ?
Xavier Mathelin

Il y a eu des changements depuis le Brexit. Les volumes de ventes repartent, n’en déplaisent à certains. Mais là-bas les offres sont simplifiées, sur les chaudières et accessoires, les gammes sont moins étoffées. Surtout, en Grande-Bretagne, il y a une grande perméabilité entre GSB et monde professionnel, avec un schéma à la "Bricoman+La Plateforme du Bâtiment", un mix de “cash & carry”, de grande surface de bricolage et de négoce.

« Il y a des acteurs différents à travers l’Europe, les éléments constructifs le sont aussi. Mais la distribution a un rôle important à jouer et la disponibilité des produits nécessite des investissements structurels. »

Et à propos de l’Europe du Sud ?
Xavier Mathelin

Les négoces y sont encore importants, notamment les indépendants qui sont forts en Espagne et en Italie. Il existe également des grandes coopératives en Espagne. Ces marchés ont une approche système intégré plus lointaine. Le client n’attend pas autant de choses de son négoce, car le niveau d’artisanat est peut-être meilleur que du simple “plug & play”.

Vous évoqué des différences. Néanmoins, qu’est ce qui rapproche tout ce “petit monde” ?
Xavier Mathelin

Il y a des spécificités par pays, mais le socle de l’Union européenne est déjà instauré. Certes, il y a des acteurs différents, les éléments constructifs aussi, mais la distribution a un rôle important à jouer et la disponibilité des produits nécessite des investissements structurels. Les professionnels ont besoin des produits instantanément. Il serait donc faux de dire que les négoces n’ont plus de stocks : il suffit de regarder leurs bilans comptables pour constater la valeur qu’ils détiennent. Il faut de la disponibilité, la distribution a de nombreux challenges à relever.

Vers une uniformisation du négoce en Europe ?
Xavier Mathelin

Les comportements sont différents selon les pays, et même selon les régions, selon la densité de population et des enseignes concurrentes. En tout cas, le négoce est en mutation et il n’y a pas de modèle applicable uniformément dans toute l’Europe. Entre un monde de l’électricité assez standardisé, et un négoce de la tuile où tous les territoires demandent des produits différents, c’est le jour et la nuit. La bonne offre avec la bonne disponibilité et une palette de services logistiques seront toujours la force des négoces pour servir des marchés locaux très différents d’une zone à une autre.

Grégoire Noble
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