, mis à jour le 22/08/2025 à 10h31

« Un cadre peu doré au moins jusqu’au début 2028 »

Philippe Poujol
président de la
Fédération nationale de la décoration (FND)
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Philippe Poujol - Président de la FND 2022-2026.

Depuis maintenant près de deux ans, la filière Décoration est entrée dans une phase de turbulences. L’activité a d’ailleurs continué de décliner en 2024 principalement en volume – à l’exception de l’ITE. Et le début 2025 ne laisse pas entrevoir de réelles améliorations. Analyse et réactions.

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Quel regard portez-vous sur l’activité de vos métiers dans un climat de turbulences ?
Philippe Poujol

En 2024, l’activité s’est rapprochée de 2019 (base 100) avec un niveau en valeur à 106 points, mais à 92 en volume dont 18 à 20 points d’inflation. En clair, le négoce a commencé à déstocker de l’inflation. Mais les bilans des distributeurs et de nos clients BtoB sont “rincésˮ dans un environnement de charges (tarifs, salaires, frais généraux…) qui a pris plus de 20 points. Depuis janvier 2025, l’écart entre chiffre d’affaires et volumes commence à se corriger très lentement.

Entrevoyez-vous un léger mieux d’ici à début 2026 ?
Philippe Poujol

Depuis trois ans, le BTP traverse une crise non conventionnelle. Après la crise post-Covid où les achats en aménagement intérieur et extérieur ont explosé, puis l’hyperinflation, la France est entrée dans une crise financière dure depuis plus de dix-huit mois liée à la flambée de la dette publique et la baisse du pouvoir d’achat. Ce à quoi s’ajoute l’instabilité politique et réglementaire. Notre secteur continue de vivre au rythme des hausses tarifaires chez nos fournisseurs qui se répercutent sur nos prix de vente. Ce schéma devrait, à mon avis, perdurer encore un certain temps. Avec les effets collatéraux que l’on connaît : des trésoreries toujours plus tendues et un risque client dans le rouge. Résultat : les assureurs-crédit revoient leurs positions à la hausse.

« Nous sommes toujours dans le dur de la crise. Concrètement, les charges et marges restent la variable d’ajustement. »

Peut-on parler de récession dans la filière Finitions ?
Philippe Poujol

C’est, d’une certaine façon, le cas depuis courant 2023. Contrairement au gros œuvre où l’on perçoit un début d’éclaircie, la sortie de crise n’arrive en général qu’en dernier dans le second œuvre décoration. Et l’approche des municipales dans moins d’un an ne présage, a priori, rien de bon pour la commande publique et privée. Tant en BtoC qu’en BtoB, les projets de travaux sont plus ou moins à l’arrêt par manque de visibilité. L’activité en revêtements de sol en est un bel exemple. C’est un segment régi par un comportement d’investisseur, et non pas de consommateur comme peut l’être le paint. Aujourd’hui, personne ne peut prédire quand nous aurons atteint le point bas ! Tant sur le plan macroéconomique qu’au niveau de notre filière, je n’entrevois pas de réelle amélioration avant 2028.

Tous les segments souffrent, hormis l’ITE… pour l’instant.
Philippe Poujol

Avec l’isolation et le changement de mode de chauffage, ce marché continue de connaître un vrai engouement des ménages au titre de la rénovation énergétique. Beaucoup de murs manteaux sont réalisés avec des matériaux dits “froidsˮ comme les systèmes d’ITE. Avec un effet coût/bénéfice salutaire en termes de confort d’été et d’hiver. Les ventes via notre circuit ont bondi de 3,3 % au T1 2025 (à 43 M€) vs le T1 2024 – avec un petit +0,5 % l’an passé. Ces chiffres sont à mettre en perspectives avec les +11 % affichés en 2023. Cet univers produits est d’ailleurs traité à part par notre observatoire DécoData en l’isolant de l’activité paint et non-paint. Son éligibilité au titre de MaPrimeRénov’ [MPR] et des CEE a eu un effet booster. L’État ne doit pas gommer d’un trait de plume ces dispositifs vertueux qui contribuent à soutenir le marché. Reste à savoir si, comme début 2023, les aides seront assujetties aux travaux de rénovation d’ampleur. La FND continuera de monter au créneau aux côtés de la Capeb et une trentaine de fédérations pour le maintien du monogeste. La filière doit disposer d’un cadre de référence clair pour pérenniser une “logique industrielleˮ. Il est urgent de ne pas retomber dans les affres réglementaires de 2023 qui pourraient, cette fois, avoir un effet très dévastateur sur le marché de l’ITE eu égard à la conjoncture économique.

« L’éligibilité de l’ITE au titre de MaPrimeRénov’ et des CEE a eu un effet booster. L’État ne doit pas gommer d’un trait de plume ces dispositifs vertueux qui contribuent à soutenir le marché. »

Comment ont réagi les adhérents de la FND à l’annonce du gel du guichet MPR jusqu’à fin septembre ?
Philippe Poujol

Du fabricant au peintre applicateur, le sujet questionne toute la chaîne de valeur. Le moratoire (hors monogestes et copropriété) a été décidé par les pouvoirs publics sous prétexte de l’éco-délinquance. Mais c’est bien la motivation budgétaire qui a guidé l’État dans ses choix. J’ai d’ailleurs du mal à comprendre comment il est possible de traiter 16 000 dossiers suspectés frauduleux avant la mi-septembre. Qu’en sera-t-il vraiment ? On peut craindre que l’activité tourne toujours au ralenti d’ici au printemps 2026.

Que vous inspire le moratoire sur la REP PMCB ?
Philippe Poujol

Notre filière qui est éligible au titre de cette REP, mène depuis 2018 un vaste travail avec l’éco-organisme ÉcoDDS chargé de la collecte, du tri et du traitement des déchets chimiques via Rékupo. Ce dispositif est aujourd’hui mature. À propos des déchets de revêtements de sol, la FND et ses adhérents ont noué un partenariat il y a 8 ans avec des fabricants [dont Forbo Flooring et Tarkett, ndlr] pour s’inscrire dans un schéma d’économie circulaire. Ce qui interroge concernant les PMCB, c’est le modèle économique qui crée de la compétition entre les 4 éco-organismes. Cette filière pourrait coûter jusqu’à 1 Md€ pour collecter et recycler les matériaux inertes et le bois. Avec une répercussion significative de de l’écocontribution pour certains matériaux. La charge est d’autant plus insoutenable en période de crise.

La FND en bref
Environ 2,8 Md€ HT de CA 2024 vs 2,63 Md€ en 2023.
• 450 sociétés adhérentes (réseaux intégrés et affiliés, indépendants purs).
Plus de 8 000 salariés.
• 1 620 agences et showrooms.
(Source : FND)

Fort de 30 ans d'expérience en presse BtoB et BtoC, Stéphane est rédacteur en chef de Zepros Négoce et Zepros Safety, passionné par les enjeux liés aux transitions environnementales et digitales dans le BTP.
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