
Le “Festival” des projets d’Agathe Monpays… et de Leroy Merlin d’ici à 2035

La jeune et médiatique dirigeante de Leroy Merlin France s’est confiée sans détour. Agathe Monpays a rencontré une demi-douzaine de journalistes pour aborder tous les sujets : les chiffres… bons et moins bons, l’avenir du réseau à travers la feuille de route Vision 2035, la concurrence. Elle est aussi revenue sur son parcours et les coulisses de sa nomination.
Elle a osé ! Agathe Monpays, la jeune et célèbre directrice générale de Leroy Merlin France, a organisé une petite rencontre avec une poignée de journalistes des grands quotidiens nationaux, régionaux, économiques et quelques magazines spécialisés dans la distribution.
Elle a osé car la direction de Leroy Merlin France est réputée plus mutique. Mais ses proches conseillers en communication l’ont convaincu que la lumière est toujours plus bénéfique que l’ombre. Et ils ont bien fait car elle a abordé tous les sujets avec un naturel confondant.
À commencer par son prochain congé maternité qu’elle prendra bien sûr comme tout salarié de l’entreprise pour mettre au monde son deuxième enfant. Dans le “Festival des Projets”, pour reprendre le nom de la promotion de l’entreprise, elle n’a donc pas caché les siens, mais a surtout développé ceux de la première enseigne de bricolage de France qu’elle dirige.
Les chiffres symptomatiques d’une transition de genre
Agathe Monpays a profité de la présentation des résultats 2024 de la société pour souligner la transition de genre chez Leroy Merlin. La rédaction de Zepros avait un peu secoué le cocotier des GSB en annonçant un recul de l’enseigne de 5 % en 2024 contre 4,3 % pour le marché (source : Fédération des magasins de bricolage/FMB) osant dire que le recul du leader emportait avec lui le marché.
La direction de Leroy Merlin n’avait pas été longue à réagir pour rappeler que sa baisse en 2024 était certes de 5 % au périmètre des magasins mais en comptant la marketplace et les services, le n°1 tricolore du secteur ne reculait que de 3,2 % avec un volume d’affaire global tutoyant les 9,6 Md€.
Alors, pourquoi parler de volumes d’affaires ? Car il agrège des sorties de caisse, des ventes de services (la pose par des artisans) de l’activité de la marketplace. D’ailleurs, le chiffre d’affaires de la marketplace compenserait quasiment à lui seul les 472 M€ perdus dans les magasins. Autrement dit, il y a une migration vers des services et le business de place de marché.
« Aujourd’hui, la part de nos ventes en ligne représente 12 % de notre chiffre d'affaires, soit 1,2 Md€ […] avec une marketplace qui pèse près d'un demi-milliard d'euros d'activité ».
Chiffres activité 2024 Leroy Merlin
• Volume d’affaires (VA) : 9,6 Md€ de chiffre d’affaires, à -3,2 % vs 2023.
• +1 point de parts de marché vs 2023.
• 8,6 Md€ de CA magasins dont 1,3 Md€ de CA web (13,5 % du VA), 1 Md€ de CA en BtoB et 420 M€ de CA avec la marketplace.
• 12 millions de ménages par an.
(Source : Leroy Merlin France)
Trois fois plus de ventes en ligne chez Leroy que sur le marché
« L’année 2024 a été très apprenante, très challengeant. Nous avions fait le choix, il y a maintenant quelques années, de beaucoup diversifier notre activité sur internet, les marchés pros, les services. Aujourd’hui la part des ventes en ligne est chez nous trois fois supérieure à la part du web sur le marché général. Cela représente 12 % de notre chiffre d'affaires, soit 1,2 Md€ […] avec une marketplace qui pèse aujourd’hui, près d'un demi-milliard d'euros d'activité ».
Autre pôle en plein essor : l’activité tournée vers la clientèle BtoB. « Le marché professionnel, c’est 1 Md€ de volume d'affaires aussi. En 2024, nous avons battu notre record historique avec cette nouvelle cible », note Agathe Monpays.
Pourquoi parler de volume d’affaires ? « Si vous êtes venu chez nous faire poser des fenêtres, vous avez peut-être payé 1 000 € de menuiseries avec 500 € de pose – lesquels ne rentrent pas dans le chiffre d’affaires traditionnel , c’est du volume d'affaires », comme l'explique la DG.
Alors entre les volumes d’affaires de la marketplace, celui de la cible BtoB, le chiffre d’affaires de LeroyMerlin.fr et, bien sûr, celui des passages en caisses… Trois et je retiens deux…. multiplié par le coefficient X… Et j’obtiens un volume d’affaires de 9,6 Md€ au total. « Ce qui est finalement tout ce qu'on encaisse auprès des clients », convient-elle.
Marketplace : un choix « extrêmement » gagnant
Quant aux polémiques avec les autres GSB ou la FMB sur la comptabilisation ou pas des places de marché dans le calcul de la position de chaque enseigne et des parts de marché, Agathe Monpays les balaie d’un revers de manche.
« Pour nous, ça n'a pas de sens de ne pas la comptabiliser, puisqu’à la fin, ce sont des euros que les Français dépensent chez nous. Après, que les concurrents n’aient pas eu envie de faire de marketplace ou de ne le faire que tardivement, c’est leur stratégie. Nous, nous estimons que, notre choix de la marketplace qui a été pris très tôt, est extrêmement gagnant ! », argumente la DG.
De là croire que le magasin deviendra le parent pauvre, il n’en est nullement question. D’ailleurs lors de cette rencontre avec la presse, Agathe Monpays va passer beaucoup de temps à rassurer sur sa volonté d’investir en magasin.
Et la jeune manager de rappeler alors que « le début de l'année s'annonce plutôt mieux dans les rayons où l’enseigne est passée du -5 % de 2024 à zéro avec une croissance globale de 2 % depuis le 1er janvier 2025 ».
« Il faut vraiment prendre soin des magasins physiques. Cet actif est l’un des premiers montants d’investissement de notre plan stratégique à trois ans : ce qui comprend l’entretien du parc commercial, la transformation énergétique de nos sites ».
Le magasin ? Mon“ précieux” de Monpays
« Beaucoup d’acteurs du retail, même en GSB, ont désinvesti le territoire des magasins et ont parfois laissé leur site un peu se dégrader. Nous considérons comme majeur de continuer à investir dans les magasins. Je dis cela peut-être aussi parce que j'ai vécu huit des dix ans de ma petite carrière en magasin. Mais il faut qu’on prenne vraiment soin de cet actif, insiste la DG de Leroy Merlin France. C’est l'un des premiers montants d'investissement de notre plan stratégique à trois ans : ce qui comprend l’entretien du parc, la transformation énergétique de nos sites ».
Et Agathe Monpays de nous inviter à visiter le site de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) implanté carrément au milieu d’une forêt. La surface de vente reste presqu’identique – passant de 11 000 m² à 12 000 m². Fréquentation actuelle ? De 1 800 à 3 000 clients par jour selon la saison.
« Mais les allées seront larges, ce qui est en extérieur aujourd’hui sera en intérieur, le parcours sera fluide, il y a aura des zones d’exposition pour se projeter, des services en plus avec des espaces pour donner des conseils, des cours… Il y aura également un espace de détente avec boissons et en-cas », énumère à nos confères de La Montagne Philippe Nativel, le directeur de ce magasin qui sera dans les standards haut de la marque.
Agathe Monpays a également annoncé la création de nouveaux magasins à Troyes (Aube) – l’inaccessible ville pour l’enseigne ! – et à Saintes (Charente-Maritime).
La bataille du prix… car le client le veut bien
Mais, dans les points de vente, pour combattre sur le terrain, il faut obéir au client qui a fait du prix son souci n°1 en 2024. Il faut travailler ce que Leroy Merlin appelle « l’accessibilité ». D’après Agathe Monpays, « c’est la première inflexion aujourd’hui du marché : le rapport à la dépense, le pouvoir d’achat. Nous avons investi, l’an dernier, près de 140 M€ dans la baisse des prix de vente des produits ». Un investissement qui s’est traduit par la naissance de la gamme “Essential by Worx” placé frontalement face à Parkside qui croque tant de parts de marché.
La DG de Leroy Merlin le reconnaît d’ailleurs : « C’est une gamme d’outillages de bricolage traditionnel et de jardin que nous n’avions pas encore dans nos gammes […] à des prix défiants toute concurrence et notamment celle les discounteurs ».
Autre illustration citée par la DG ? L’association avec la créatrice et designer Mathilde Cabanas autour de produits déco à petit prix à l’image d’une lampe designée à 39,90 € TTC). « Nous avons fait un carton ! se félicite-t-elle. Tout était “sold out” en 72 heures parce que là aussi, on a cette conviction que le design, le beau ne doivent pas être un sujet d’élites et doit pouvoir adresser tout le monde. »
Et là, on peut y voir également une réponse aux attaques de tout poil sur le flanc de l’univers Décoration par des acteurs à bas prix tels qu’Action , Gifi voire le pure player chinois Temu.
Record de ventes en avril 2025
La “guerre” commerciale reste donc la mère de toutes les batailles. La preuve ? Le fameux “Festival des Projets” au sein de l’enseigne. C’est « l’opération commerciale coup de fouet » de la saison qui a réalisé un résultat historique en avril (lire aussi notre article sur Adeo).
« Les nouveaux produits qui arrivent dans nos tracts d’opérations commerciales cartonnent. Je vais donner un seul exemple dans un marché comme le nôtre qui reste en 2025 extrêmement chahuté et tordu. Nous réalisons ainsi le record de chiffre d’affaires d’opérations commerciales toute année confondue, sur le mois d’avril 2025 », confie encore Agathe Monpays.
Hommage au “cousin” Weldom
L’accent est donc sur les magasins. Quant aux concepts, ils restent multiples en les adaptant au marché local. « Je crois qu’on ne consomme pas à Fréjus [Var] comme à Maubeuge [Nord]. Nous laissons donc beaucoup de latitude à chacun de nos patrons de région, mais aussi aux directeurs de magasin pour poser le juste concept là où il se trouve. À Saintes [Charente-Maritime] qui est une plus petite ville, nous posons un format de 5 500 m² dans lequel il y aura une offre Leroy Merlin, mais un peu plus contenue », argumente la DG de Leroy Merlin.
« À l'inverse, Villeneuve-d’Ascq [dans le Nord] passe d’un magasin qui faisait entre 8 000 et 9 000 m² à un format de 15 000 m² : l’un des plus gros sites du Nord-Pas-de-Calais et des Hauts-de-France en termes de grande surface parce que là, il y a un marché, on a une offre à exploiter, etc. », poursuit-elle.
Sans oublier, bien sûr, le déploiement local de petites boutiques dédiées à l’univers de la cuisine ou de la salle de bains. En revanche, la proximité est laissée au cousin Weldom dont l’offre est à 80 % commune avec Leroy Merlin. « Ils font un travail extraordinaire, et je tiens d’ailleurs à saluer mon ami Éric Béchu [DG de Weldom : Ndlr] », souligne Agathe Monpays.
La bataille des pros
Quelques heures avant de nous recevoir ce jeudi 15 avril, la commission paritaire mixte du Sénat et de l’Assemblée nationale avait convenu de laisser les GSB œuvrer dans la rénovation énergétique – y compris sur les projets aidés en attendant de leur trouver un statut. « C’est sorti hier [le mercredi 14 avril 2025 : Ndlr] : fumée blanche, bonne nouvelle ! confirme Agathe Monpays. La GSB pourra faire partie des acteurs prioritaires de ce marché. »
Dans les faits, c’est une défaite pour la Capeb et une victoire pour les acteurs de la GSB. Leroy Merlin respire car, à l’instar des marketplaces, l’enseigne a pris un risque en prenant très tôt ce cap, voire nettement plus tôt que ses concurrents.
D’ailleurs, sa DG n’hésite pas à faire la comparaison entre les deux marchés : « Ma conviction profonde, c’est que d’ici dix, quinze ou vingt ans – au même titre qu’il n’y a plus de business sans digital aujourd’hui – il n’y aura plus de transformation de l’habitat sans transformation énergétique » (voir encadré ci-dessous).
Leroy Merlin et la rénovation énergétique en 3 dates
• JUIN 2023
Leroy Merlin vise le milliard d’euros en 2025
• NOVEMBRE 2023
Leroy Merlin s’attaque (aussi) aux audits DPE...
• NOVEMBRE 2024
...et déploie son propre DPE simplifié
Séduire les artisans… mais pas que pour la réno’ énergétique
Les alliances seront celles aussi passées avec les artisans…. rénovation énergétique ou pas d’ailleurs. Si leur labellisation RGE est indispensable pour que l’obtention de MaPrimeRénov’, Agathe Monpays les voit au-delà comme des partenaires d’un marché un tantinet moins do-it-yourself (DYI) à l’avenir.
« L’une des inflexions que l’on ressent fortement chez les particuliers est qu’ils ont besoin d’un artisan pour poser un certain nombre de produits. Car d’abord il y de plus en plus de familles monoparentales, mais aussi parce que les Français vieillissent », rappelle la jeune dirigeante.
Bref, la relation de Leroy Merlin avec les artisans est un sujet majeur : « Nous sommes associés à 6 000 artisans partout en France. Et on a des délais maintenant extrêmement satisfaisants sur le marché ; ce qui n’était pas le cas il y a quelques années, se félicite-t-elle. Entre le moment où un ménage prend un premier contact chez nous et la cuisine posée, il peut se passer quatre semaines. »
Lorsqu’on lui rappelle entre autres la levée de bouclier de la Capeb, les reproches faits par certains de clientéliser les artisans, elle répond d’abord qu’avec déjà un pool de 6 000 artisans déjà dont 1 300 RGE, « nous couvrons largement le besoin actuel tel qu’il existe sur le marché ».
Avant d’apporter ce bémol : « Ce qui est sûr, c’est que si demain le marché décolle et fait 30 Md€, il va falloir structurer, recruter et trouver un moyen pour que les meilleurs artisans continuent d’avoir envie de travailler avec nous et partout sur le territoire local ».
Transformation énergétique : “le” casse-tête du siècle
Sur le marché stratégique de la transformation et de la rénovation énergétiques, la question est maintenant de savoir quand l’ensemble de l’investissement consenti par Leroy Merlin (20 M€ par an sur cinq ans) sera rentable.
« Nous sommes extrêmement confiants puisque cela fait maintenant plusieurs années que nous opérons au service de cette transformation énergétique et que les résultats sont extrêmement satisfaisants », admet Agathe Monpays.
Avant, aussi tôt, de reconnaître la difficulté de la tâche : « Chez Adeo, on dit que c’est le marché du siècle, mais aussi le… casse-tête du siècle !» Et d’ajouter que cela passera à tous les étages par des alliances.
« On s’associe avec les pouvoirs publics, nous sommes mandataires de l’Anah mais travaillons aussi avec La Solive et SoliHa (Solidarité Habitat) au plus près des territoires parce que ce sont eux qui sont déjà chez les Français et qui sont capables parfois de former nos équipes », admet la DG.
Les alliances vont même plus loin. « Nous nous associons avec des grands distributeurs. Je prends par exemple Saint-Gobain qui produit aujourd'hui des références dont nous avons besoin pour la transition énergétique », cite-t-elle.
Mieux rémunérer les artisans ? Une piste
Alors comment donner envie à un artisan de travailler avec Leroy Merlin ? « Ça passe notamment par du gain de temps. Si les produits arrivent à la bonne heure chez le client sans que l’artisan ait eu à s’en occuper, et le tout à la bonne date, l’artisan est très satisfait de travailler avec nous. À chaque fois que ça “déconne” [sic], c’est plus problématique. Et puis on ne se ferme pas à l’idée de réfléchir avec eux sur le juste niveau de rémunération, le juste niveau de partage aussi de la valeur parce que Leroy Merlin leur apporte du volume, leur fait gagner du temps dans la recherche de clients et qu’ils sont rémunérés honnêtement à la hauteur de ce qu’est leur prestation », argumente Agathe Monpays.
In fine, cette offensive pour capter les artisans est toutefois à graduer. Notamment en matière de rénovation énergétique où les efforts ne seront peut-être pas tous identiques dans toutes les régions françaises. Agathe Monpays révèle ainsi avoir entendu la ministre de la Transition écologique lui expliquer que « Si nous traitons le nord et l’est du pays sur la transition énergétique, nous aurons réglé 90 % du projet en France ». Voire…
La rentabilité s’effrite mais reste supérieure… au concurrent
En tout cas la migration de l’activité de Leroy Merlin vers ces stratégies axées vers les travaux de rénovation globale sont des enjeux financiers colossaux car là on est plus sur une centaine d’euros de paniers moyens mais bien sur des projets entre 40 et 80 k€ par habitant.
Et gagner de l’argent reste quand même l’objectif de la maison Leroy Merlin qui ne peut pas se payer le luxe d’investir sans rentabilité. Selon nos informations, si le chiffre d’affaires a baissé en 2024, la rentabilité est restée dans la bonne zone.
Sans donner de chiffres, la DG rappelle qu’il ne faudrait quand même pas « non plus que le marché soit négatif pendant douze ans. De manière structurelle, un euro de chiffre d’affaires ne fait plus le même niveau de rentabilité en 2025 qu’en 2020 ».
Quitte à se comparer avec le résultat de Kingfisher (250 M€), voici la réponse de Leroy Merlin : « Nous sommes plus haut. Donc oui, Leroy Merlin est une entreprise rentable, mais aussi une entreprise autonome financièrement. On a de la solidité pour accompagner les projets de l'entreprise ».
La Vision 2035 décryptée par Agathe Monpays
• Imaginé par Damien Deleplanque en 1995, le plan “Vision” consiste à associer tous les collaborateurs à leur vision du marché et de l’enseigne pour les dix ans à venir. Malgré la taille bien plus importante de Leroy Merlin, Agathe Monpays a décidé de relancer une vision 2035.
• « C’est un héritage magique qui m’a été confié. À l'époque, on l’oublie, mais je crois qu'il y avait 35 ou 40 magasins : on était bien loin derrière Castorama, on était le petit follower ». On a vu le résultat !
• La Vision 2035 est donc lancée avec, à la barre, Marc Renaud, directeur de la communication institutionnelle. Cette opération pousse les salariés à sortir de leur métier, à aller rencontrer les clients, les artisans (et c’est nouveau !), les mairies, etc.
• Cela durera dix-huit mois et sera suivi d’une grande phase appelée d’« idéation » où chacun des collaborateur va sortir deux jours de son magasin pour produire des idées grâce à « l’intelligence collective ».
• Le tout s’achèvera par une phase de révélation « où l’on va, forts de toutes ses idées, poser la vision à dix ans, Vision 2035, avec nos équipes pour pouvoir révéler le projet de l’entreprise qui va nous guider. C’est une aventure passionnante qui démarre. Je demandais dans un magasin l’autre jour à un collègue ce qu’il attendait de la Vision 2035. Il a répondu : “Qu’on s’éclate ensemble, que je m’éclate, qu’on passe du bon temps ensemble et qu’on rêve ensemble la boîte et le projet de l’entreprise à dix ans” ».
Question taboue : Agathe Monpays, DG jusqu’à quand ?
La rédaction de Zepros a interrogé la jeune manager sur sa perception quant à son avenir à la tête de Leroy Merlin. En version CDI ? Ou plutôt en CDD et, le cas échéant, sur quelle durée ?
Réponse de l’intéressée : « Je me pose cette question tous les matins en me levant : "Est-ce que tu es encore à la hauteur aujourd’hui pour tenir le poste qui est le tien ?" Je manage 30 000 collaborateurs par jour qui servent 12 millions de foyers, de ménage par an. Si un matin, je me réveille en me disant que je ne suis plus à la hauteur, je vous assure que dans les 48 heures, j’aurais laissé ma place à quelqu’un de meilleur que moi. Il faut donc voir mon poste comme un CDD ! ».
« C’est l’histoire de l’enseigne où l’on a cette chance à la fois d’avoir de la stabilité et du mouvement. Au cours des cinquante dernières année du “Leroy Merlin époque moderne” sous l’AFM*, je ne suis que la sixième directrice . Mes prédécesseurs ont duré de sept à dix ans. Ce qui est à la fois un temps suffisamment conséquent car changer tous les deux ans me paraîtrait dangereux pour poser une stratégie, la mettre en œuvre et en récolter du fruit. En même temps, c’est un temps nécessaire ‘'oxygénation. Je ne pense pas faire ça trente ans. Mais à l’inverse, je n’ai pas consenti non plus tous ces efforts pour n’être DG de l’enseigne que trois ans. »
* L’Association familiale Mulliez (AFM) est une galaxie familiale de 850-900 actionnaires à la tête de 130 enseignes dont Auchan, Leroy Merlin, Décathlon, Saint Maclou, Jules, Kiabi, Pizza Paï ou Électro Dépôt.
Agathe Monpays : son parcours chez Leroy Merlin
« Chez Leroy Merlin, j’ai démarré à Valenciennes [en septembre 2016 : Ndlr]. J’étais cheffe de secteur, manager d’un rayon – d’abord le Luminaire. J’ai managé la grande équipe de trois personnes de ce rayon. C’était passionnant. Puis j’ai été promue en héritant en plus de la décoration en plus. À l'époque, je me suis dit : "Ils [le management de l’enseigne : Ndlr] ne se rendent pas compte de la taille du territoire qu’ils sont en train de me confier…" En fait, c'était un beau périmètre dans lequel je me suis éclatée.
Puis j'ai fait pareil avec la peinture. J’ai travaillé quatre ans sur le métier de chef de secteur en magasin. Ça a été peut-être la plus belle année de ma carrière. En tout cas, la plus apprenante. À l’issue de ces quatre ans, j’ai fait mes débuts comme directrice du magasin de Tourcoing – toute jeune puisque j’avais… 25 ans et j’arrivais à la tête d’un superbe magasin qui venait d’être transféré ; avec la chance de conduire le projet d’exploitation de ce magasin avec les équipes de l’époque : une aventure passionnante de deux ans.
« Athènes, c’était le bout du monde pour moi ! »
Nous avons travaillé notamment le projet humain, puis la transformation omnicanale. C’était le tout début des étiquettes électroniques chez Leroy Merlin en France, le début aussi de la marketplace. Vraiment aussi passionnant ! Et là, j’ai été enceinte de mon premier enfant, puis on m’a proposé d’aller découvrir la planète, moi qui étais née à Lille. J’avais fait la Sentinelle, Tourcoing, Lille pour mes études.
Là, on m’a catapultée à Athènes [de septembre 2022 à septembre 2023 : Ndlr]. C’était le bout du monde pour moi ! Je suis partie avec mon bébé, mon fils, et j’ai pris la direction générale de Leroy Merlin Grèce et Chypre qui était l’une des plus petites filiale du groupe Adeo : 8 magasins qui n’avaient jamais trouvé 1 € de rentabilité à l’époque… après quinze ans de présence dans le pays.
Il y avait donc un gros projet de restructuration, de positionnement de l’enseigne, du business et de ce que l’on pouvait apporter aux consommateurs grecs très différents des Français. En Grèce, on dit que “Qui sait monter un meuble Ikea sait monter une roquette !” : donc le niveau en bricolage n’y est pas très solide.
Nourrir l’entreprise par sa réalité en magasin, ses clients
Mais c’était passionnant. J’aurais pu faire ça toute une vie ! En fait, l’histoire s’est écrit un peu différemment. Un an après, on m’a proposé de revenir à la tête de Leroy Merlin France : le poste que j’occupe maintenant depuis un peu plus de dix mois.
C’était une surprise. Il m’a fallu du temps pour comprendre pourquoi, pour faire quoi, au service de quel projet. Et du temps, on n’en a jamais beaucoup dans ces moments-là. Pourquoi moi qui n’ai pas navigué tant que ça dans les services stratégiques je prendrais la direction d'une entreprise ? J’avais fait principalement du magasin. Mais je partageais avec Philippe Zimmermann [DG d’Adeo jusqu’en décembre 2023 : Ndlr] cette envie de nourrir l’entreprise par sa réalité magasin, par ses clients. Il devenait évident à mes yeux que si vous écoutez vos clients et vos magasins, vous avez trouvé la martingale.
« Ne regarde pas les réseaux sociaux ! »
Tout s’est alors emballé médiatiquement. J’ai d’ailleurs eu beaucoup de chance de rester deux-trois mois de plus à Athènes. J’avais un bébé de dix mois et étais débordée de boulot. Pour être honnête, le départ de Grèce a été même difficile, un peu un crève-cœur. Depuis la France, Marc Renaud [directeur de la communication institutionnelle : Ndlr] me disait : “Ne regarde pas les réseaux sociaux ! Je vais te raconter…”. J’avais imaginé une autre entrée en matière, et ça m’a plutôt mis mal à l’aise…
Mais 90 % des commentaires que j’ai lus à l’annonce de ma nomination étaient positif. Sur le reste [les fake news : Ndlr], je l’ai plutôt pris comme une exacerbation des enjeux de société, les femmes, les minorités, les jeunes, etc. plutôt que quelques chose qui me visait directement.
À propos de la rumeur sur mon lien supposé avec la famille Mulliez, j’étais persuadée que mon conjoint me demanderait en mariage pour rétablir la vérité. Vous savez, je suis normale, je travaille au service de cette entreprise parce que j’en suis tombée amoureuse quand j’y suis rentrée il y a neuf ans. J’ai rencontré des gens extraordinaires pour lesquels j’ai envie de me battre au quotidien. Et tant que j’ai l’opportunité d’être utile et de le faire, je le fais. »
Sur le même sujet


